Chronique

Kitamura / Ho Bynum / Reid / Morris

Geometry of Trees

Kyoko Kitamura (voc), Taylor Ho Bynum (tp, flh), Tomeka Reid (cello), Joe Morris (g)

Label / Distribution : Relative Pitch

Après Geometry of Distance et Geometry of Caves, la ligne qui anime le quartet étasunien, où l’on retrouve la chanteuse Kyoko Kitamura, ne varie pas. Si la droite brille par sa rectitude, l’angle peut parfois s’avérer différent : dans Geometry of Trees, il n’est plus seulement question d’espace et de profondeur, mais aussi de relief. Avec ce troisième album, Kitamura et ses compagnons, l’inévitable Taylor Ho Bynum en tête, offrent de nouvelles perspectives. C’est ce qu’on entend dans « Continuing Inexplicability » où la trompette semble infuser le babil de la chanteuse avant de l’abandonner à un silence vite troublé par les cordes. Comme dans les premières rencontres, déjà pour le label Relative Pitch, c’est d’abord le violoncelle de Tomeka Reid qui fait les premiers pas. Le timbre de son instrument se mélange lui aussi à la voix, et lorsque Kitamura se met en retrait, le dialogue entre Reid et Bynum est délicieusement minimaliste. Juste de quoi laisser la place à Joe Morris de devenir le dynamiteur, l’élément déclencheur.

Dans « Imaginary Donuts », au milieu des oiseaux - ses compagnons qui sifflotent, comme pour animer des arbres qui prennent vie -, le guitariste offre un très beau panel de sa capacité à accélérer toutes les particules, de ce son très rond si familier. Lorsqu’il parvient au point de fusion, ce sont d’abord les pizzicati de Reid qui le rejoignent, puis les onomatopées acerbes de Kitamura, vite rejoints par le cornet de Taylor Ho Bynum. Dès « Re : Berth », le morceau inaugural de cet album, on découvre une certaine immédiateté, une tangente nouvelle qui n’avait pas nécessairement cours dans les précédents disques. Une direction qui offre davantage de place aux individualités, même si le noyau « braxtonien » de Kitamura, Reid et Bynum est clairement le centre de gravité de Geometry of Trees (« Bending Skies »). Dans un morceau comme « Limestone Formations », le cornet de Bynum est d’abord libre de tout mouvement, avant de se voir entravé, comme pris dans le sable mouvant des cordes et l’étrange mélopée de Kitamura qui lance comme des envoûtements rauques, une voix qui se tarit, un feutre qui s’effiloche.

Plus que les précédents enregistrements, Geometry of Trees a une dimension théâtrale. On pourrait entendre du Nô dans la prise de parole de Kyoko Kitamura au début de « Continuing Inexplicability », mais ces traces sont vites recouvertes, comme pour éviter de trouver un chemin trop classique, pour abandonner toute balise ; la géométrie de ce quartet est tout sauf euclidienne, elle obéit à ses lois et à ses désirs sans jamais pourtant perdre le sens de la boussole. Si les arbres sont convoqués ici, c’est pour souligner le caractère très organique, peut être plus saillant que jamais, de ce très bel orchestre : Morris notamment joue plus clair, cherche moins les effets, ce qui donne à ce disque des allures plus anguleuses où toutes les formes de la forêt se manifestent, de la lumière et la liberté de la canopée jusqu’aux enchevêtrements sombres des racines pleines d’humus. C’est encore une très belle réussite que cette géométrie nouvelle.

par Franpi Barriaux // Publié le 6 novembre 2022
P.-S. :