Chronique

Kitamura / Ho Bynum / Reid / Morris

Geometry of Caves

Kyoko Kitamura (voc), Taylor Ho Bynum (tp, flh), Tomeka Reid (cello), Joe Morris (g)

Label / Distribution : Relative Pitch

La première géométrie qui fait sens aux oreilles, dans la caverne de ce quartet d’improvisateurs étasuniens, c’est la ligne droite.
Simple, pure, direct, la Geometry of Caves commence avec « Prelude to a Crazy Year » par le noyau de cordes. D’un côté, les mouvements turbulents de Joe Morris, de l’autre le violoncelle bâtisseur de Tomeka Reid ; un moteur à deux temps et autant de générations qui va permettre de se déplacer avec souplesse et inattendu. Une mécanique de précision qui s’étend à chaque pôle, dans leurs canaux respectifs, par deux proches d’Anthony Braxton, chargés de trouver l’équilibre ou de faire tanguer la balance. A gauche, Taylor Ho Bynum, libre de toute expression, au cornet comme à la trompette basse, notamment dans le formidable « Then This Happened » où il semble étreindre l’archet de Reid. A droite, la chanteuse Kyoko Kitamura, qui peut se mesurer à tout moment à la célérité de la guitare. Pièce importante dans le jeu de Braxton particulièrement lorsqu’il développe ses œuvres opératiques (Trillium J), la New-yorkaise qu’on avait entendue il y a quinze ans avec Steve Coleman propose ici de nombreuses possibilités, avec une technique époustouflante qui ne cherche jamais la virtuosité, lui préférant de loin la spontanéité collective (« Cloud Ladders », où elle fait corps avec le violoncelle.)

De la géométrie à la cartographie, il n’y a que la représentation dans l’espace qui diffère. Pour le quartet, on a le sentiment que la musique jouée dans l’instant est une matière brute qu’ils vont tenter d’éclairer à grand renfort de traits droits et de sinuosités, de sécantes et de tangentes. Sur « Glowworm », impressionnant dispositif de tension où l’aspect très dense de la musique se sédimente à mesure qu’on y prête attention, les premières secondes ressemblent à une irrémédiable montée des eaux après que la voix a ouvert une brèche. La trompette souffle des sons rauques aux franges du silence dans un ostinato de Reid. Lorsque la voix se détache, lointaine d’abord puis entêtante, c’est pour offrir du relief et permettre une véritable chemin partagé par tous. La voie royale dessinée à main levée.

On ne sera pas étonné de la dynamique qui anime Kitamura, Reid et Bynum. A maintes reprises, c’est une alchimie impossible à démêler, même dans le babil très maîtrisé de la chanteuse. Avec son timbre chaud, elle est le chaînon manquant entre ses compagnons. Il sera peut-être plus surprenant de trouver ici Morris, même s’il n’est guère éloigné de la famille braxtonienne. Là où on aurait presque trouvé naturel d’entendre Mary Halvorson, Morris apporte quelque chose de neuf, de moins trépidant en dépit de la vitesse d’exécution qui permet certainement de creuser plus lentement au cœur de la matière et de s’offrir quelques dentelles. Ainsi, en toute fin d’album « Stalactites Chapel », qui catalyse l’énergie, nonobstant l’apparente quiétude ; Kitamura et Bynum tracent des cercles concentriques qui bouclent la droite et la rendent aussi friable et pure que de l’anthracite. Au fond des cavernes, on en fait du diamant.