Scènes

L’hymne à la joie de Sophie Alour

Échos masqués de Nancy Jazz Pulsations # 8 – Samedi 17 octobre 2020, Théâtre de la Manufacture : Sophie Alour « Joy ».


Sophie Alour « Joy » © Jacky Joannès

Clap de fin pour l’édition 2020 de Nancy Jazz Pulsations. Sophie Alour est venue présenter le répertoire de « Joy » dans une formation remaniée par les circonstances. Une conclusion heureuse dans un climat incertain….

J’ai tout récemment évoqué ici-même Joy, le nouveau disque de Sophie Alour. Sorti juste avant le confinement, ce bel album laissait présager un concert riche en couleurs et brassages d’influences entre jazz et musiques orientales. Mais à Nancy, il aura fallu compter avec les aléas d’une période très compliquée pour les musicien·ne·s ainsi qu’avec l’épineuse question de leurs agendas respectifs. Le groupe qui entoure la saxophoniste se trouve profondément remanié par comparaison avec celui du disque. Si le contrebassiste Philippe Aerts a pu répondre présent à l’appel, il n’en est pas allé de même pour les autres. On découvre toutefois deux visages bien connus : Frédéric Nardin au piano, déjà croisé en mars 2015 en trio dans cette même salle aux côtés de Sophie Alour et dont on connaît l’hyperactivité, notamment au sein de l’étonnant Amazing Keystone Big Band, une expérience parmi beaucoup d’autres ; Gautier Garrigue à la batterie, jeune perpignanais qui s’illustre depuis quelque temps dans le quintet d’Henri Texier. Surtout, on doit s’accommoder de l’absence de Mohamed Abozekry dont l’oud était l’un des attraits majeurs de Joy. Ce musicien talentueux et magnifique improvisateur a eu la mauvaise de retourner chez lui au Caire d’où il n’a pu revenir pour les raisons que l’on sait. Fort heureusement, il avait gardé dans sa manche un frère cadet, Abdallah, de son côté joueur de saz, une autre forme de luth en provenance du Moyen-Orient et des pays Balkans. Le décor est campé, la musique peut faire son entrée.

Sophie Alour © Jacky Joannès

À l’instar de tou·te·s les musicien·ne·s, Sophie Alour fait contre mauvaise fortune bon cœur. Les temps sont durs, les événements tragiques et l’avenir incertain. Dans ces conditions, un peu de joie partagée semble le programme idéal. Objectif atteint dès les premières mesures de « Exil » et une succession de joutes parmi lesquelles on s’émerveille de la vélocité d’Abdallah Abozekry (qui s’accompagne de temps au autre au chant, malheureusement presque inaudible) et du foisonnement percussif de Gautier Garrigue, qui se mettra en évidence tout au long du concert par de longues interventions en solo. Un peu plus tard, Frédéric Nardin illuminera « La chaussée des géants » : son chorus tout en énergie, son doigté fougueux et précis à la fois poussent le quintet parfois réduit à un trio dans ses retranchements. Le registre de son jeu est vaste, il n’exclut pas pourtant des climats aux teintes plus romantiques de temps à autre. À l’arrière-plan, Philippe Aerts tient la maison rythmique avec une tranquillité désarmante, celui-là est une assurance groove à lui tout seul, un grand monsieur venu de « Bruxelles même » (sic). Sophie Alour passe du saxophone ténor à la flûte, souligne les convergences entre ses origines bretonnes et les musiques du Moyen-Orient, elle sait aussi poser le tempo pour parvenir à l’apaisement (« Songe en forme de fougère », « Songe en forme de palmier », « Hydrate et adoucit les mœurs »). Ses interventions empreintes de sensibilité et de fougue mêlées sont concises et on soulignera son sens du collectif. La saxophoniste accorde de très larges espaces à ses partenaires de jeu qui ne s’en privent pas. Si le groupe dans sa composition est inédit (et sans doute éphémère), il n’en est pas moins un vrai groupe, compact et capable de montées en tensions heureuses jusqu’à une forme bienvenue d’exultation. Sophie Alour est le moteur, bien sûr, mais elle sait s’effacer et s’enchanter avec une grande sincérité de tout ce qui se joue à ses côtés.

Deux rappels pour satisfaire un public enthousiaste qui sait sans doute que le prochain concert n’est pas pour demain et c’est un au revoir pour l’édition 2020 de Nancy Jazz Pulsations. La prochaine est annoncée du 2 au 16 octobre 2021. Tous, nous croisons les doigts pour que cette manifestation et beaucoup d’autres en France ou ailleurs puissent se dérouler dans des conditions moins anxiogènes et plus apaisées pour leurs organisateurs et les musiciens. En attendant, je salue le travail entrepris cette année par Thibaud Rolland et son équipe pour que NJP ait pu exister coûte que coûte, voilure réduite et annulations tardives incluses. Ils ont notre soutien, cela va de soi. Bon courage à eux et à tous les artistes !