La Jazz Hotte 2024
Immarcescible sélection de cadeaux indispensables pour Noël.
Comme tous les ans, Citizen Jazz vient au secours des acheteur·euses de cadeaux en panne d’inspiration. Le·a destinataire aime la musique ? Keep calm and follow the line. Voici, cette année encore, quelques pistes pour des cadeaux sûrs qui, venant d’être publiés, ne risquent pas d’être en double.
La tendance reste la même, à l’approche de la fin d’année, de nombreux petits trésors du jazz sortent tout neufs des archives. Inédits, remasterisés, augmentés, réédités… les enregistrements historiques restent une matière première renouvelable.
Au programme pour 2024 des figures tutélaires : Miles Davis (comme chaque année), Duke Ellington, Art Tatum, Thelonious Monk. Mais aussi une diva, Aretha Franklin, des gangsters, des musiciens plus discrets…
Concernant le recordman du monde des Jazz Hotte - le trompettiste Miles Davis - voici de quoi faire un beau cadeau.
Le volume 8 des Bootleg Series [1] intitulé Miles in France 1963 & 1964. Il s’agit d’un coffret de 6 CD comprenant l’intégralité de deux performances du quintet en transition. En 1963, Miles Davis vient au festival de Juan-les-Pins et se produit trois soirs de suite, ce qui remplit les quatre premiers CD. Il est avec la rythmique historique Tony Williams (batterie), Herbie Hancock (piano) et Ron Carter (contrebasse). Le saxophoniste ténor est encore George Coleman et les titres joués sont encore tirés du répertoire « classique », à savoir des standards et des compositions très connues : « So What », « All Blues », « My Funny Valentine », « Autumn Leaves », « Walkin’ », etc. On y entend cependant déjà « Seven Steps To Heaven » et « Joshua » qui viennent d’être enregistrés sur le disque Seven Steps To Heaven. Les deux derniers CD proposent l’intégralité du concert de 1964, à Paris, alors que Wayne Shorter remplace définitivement Coleman au sax ténor. C’est le début d’une grande aventure musicale, ce nouveau quintet va ouvrir les portes du jazz électrique, mais c’est une autre histoire.
Ce coffret illustre la formation du quintet - la comparaison d’une année à l’autre est facile à faire - et, soixante ans plus tard, sa fraîcheur toujours intacte.
The Miles Davis Quintet : Miles In France 1963 & 64 – (The Bootleg Series). Sony Music/Legacy
La maison d’édition (livres et disques) Frémeaux & Associés fait un travail remarquable depuis des années. Notamment avec une collection The Quintessence (sous la direction d’Alain Gerber et Patrick Frémeaux) qui regroupe en coffrets des enregistrements majeurs des créateurs du jazz. Cette histoire du Be-bop est documentée très sérieusement dans les livrets des coffrets et les notices discographiques, donnant à ces coffrets un aspect musicologique très sérieux.
Ce sont ces notices et les textes de livrets qui sont regroupés en livre : Alain Gerber : L’histoire du Be-bop. On y retrouve des analyses, des biographies et des histoires concernant Miles Davis, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Jay Jay Johnson, Bud Powell, Kenny Clarke, Max Roach, Roy Haynes, Sarah Vaughan et Thelonious Monk. De quoi découvrir ou se rappeler quand et comment est né ce style révolutionnaire.
Alain Gerber : L’histoire du Be-bop, Frémeaux & Associés
De Thelonious Monk il est également question avec l’abécédaire de Jacques Ponzio « Monk ABC », réédité par Lenka Lente. Ce petit ouvrage étonne toujours, avec ses entrées mystères faites de citations concernant le pianiste mutique. Mais pour 15 €, vous pouvez embarquer dans cette histoire poétique.
Jacques Ponzio : Monk ABC, Lenka Lente
Puisqu’on parle de pianistes, avant d’évoquer le Duke, présentons deux petits coffrets Resonance Records. Le label spécialisé dans les productions inédites, rares ou les sauvetages improbables, présente un coffret de 3 CD des soirées de concert au Blue Note de Chicago, en 1963, par le plus agile et fascinant des pianistes de jazz, Art Tatum. Enregistrés sur bandes magnétiques par le propriétaire du club, les trois soirées laissent à entendre le piano accompagné d’une guitare et du bassiste Slam Stewart, jouant dans une salle bruyante, avec des moments où le pianiste réclame un peu de silence et d’attention car il joue quelques pièces en solo. On s’y croirait. L’enregistrement est de qualité et on s’émerveille toujours autant des fulgurances au clavier, inégalables.
Art Tatum, Jewels In The Treasure Box. Resonance Records.
Autre pianiste, mais surtout chef d’orchestre, Sun Ra n’en finit pas d’illuminer les cieux du jazz avec sa musique si particulière, à la fois très classique mais jouée avec foi et fantaisie. Lights On A Satellite (Live At The Left Bank) est le dernier double album inédit de l’orchestre. Retrouvées, les bandes magnétiques ont été transférées numériquement et nettoyées pour offrir ce disque qui illustre un concert à Baltimore en 1978. C’est une nouvelle fois le producteur Zed Feldman qui est à la manœuvre. Entre les compositions du chef d’orchestre, on entend des standards du jazz à la sauce Sun Ra. Splendide !
Sun Ra, Lights on a Satellite (Live at the Left Bank). Resonance Records.
Duke Ellington (le GOAT comme disent les jeunes) fait l’objet d’une double attention de l’éditeur Frémeaux & Associés. D’une part la réédition du livre Ko-Ko d’Alain Pailler et d’autre part un coffret de 4 CD Duke At His Very Best (Legendary Works 1940-1942) réalisé par l’auteur. Le livre raconte l’histoire de la composition « Ko-Ko », un titre phare et emblématique du compositeur. C’est l’occasion d’analyser la musique d’Ellington, sa place dans l’histoire du jazz et sa descendance féconde parmi de nombreux autres musicien·nes. En 2024, nous fêtons le centenaire de son premier orchestre créé en 1924 : The Washingtonians.
Quant au coffret, il rassemble presque cent pièces restaurées et présente un moment clé de la longue vie de l’orchestre d’Ellington, celui qui réunit les plus illustres de ses compagnons de route : Billy Strayhorn, Cootie Williams, Ray Nance, Rex Stewart, Joe Nanton, Lawrence Brown, Barney Bigard, Johnny Hodges, Ben Webster, Harry Carney et Jimmy Blanton. La crème de la crème.
Le combo livre+coffret étant du même auteur, il est conseillé.
Alain Pailler : Ko-ko. Frémeaux & Associés
Duke at His Very Best (legendary works 1940-1942). Frémeaux & Associés
Les éditions Le Mot et le Reste, fidèlement, publient sur la musique et particulièrement sur le jazz et les musiques cousines. Deux sorties cette années méritent une attention particulière.
Frédéric Adrian, grand spécialiste de la soul music (il a signé des ouvrages de références sur Marvin Gaye, Otis Redding, Stevie Wonder et Ray Charles) et des voix jazz (il a signé les bios de Nina Simone et Ma Rainey) sort cette année la biographie définitive sur Aretha Franklin. Comme à son habitude, l’histoire - qui se lit comme un roman - débute à la naissance et suit les étapes importantes de la vie de la chanteuse. Et comme à chaque fois, l’auteur fouille, cherche et doute, mettant en avant les incohérences et les inventions journalistiques qui émaillent souvent les légendes musicales. Frédéric Adrian sait prendre du recul et garder la tête froide, ce qui n’est pas facile en écoutant les chaudes vocalises plaintives de la « Queen of Soul ».
Autre spécialiste maison de l’éditeur, Steven Jezo-Vannier signe Music Connection, un ouvrage qui met en pleine lumière les liens entre mafia et jazz. Sortant enfin du vague cliché qui veut que les gangsters aimaient le jazz et possédaient des clubs, l’auteur prouve, documents à l’appui, à quel point l’ensemble de l’industrie de la musique live - omniprésente au début du XXe siècle - était sous le contrôle des différentes mafias américaines (celles des Siciliens, Juifs, Irlandais, etc..). Il explique surtout la relation quasi maître-esclave que pouvaient avoir certains parrains avec des musiciens, considérés comme de simples employés. L’ouvrage regorge d’anecdotes croustillantes sur les frasques des uns et des autres.
Frédéric Adrian : Aretha Franklin. Le mot et le reste.
Steven Jezo-Vannier : Music Connection. Le mot et le reste.
Craft Recording est un label de rééditions en vinyle qui fait un bon travail éditorial. Les enregistrements sont mastérisés pour le vinyle, les laques sont coupées à partir des bandes originales, les disques sont pressés en 180g et souvent coupés en flat edge. Les pochettes sont des fac-similés des originales, ce qui fait qu’on se retrouve parfois avec des disques de meilleure qualité que les pressages originaux des années 50, 60 et suivantes.
Plusieurs séries de jazz sont en cours, comme Fantasy, Milestone, Prestige, Riverside, Savoy ou encore Contemporary Records et Original Jazz Classics.
Récemment, quelques rééditions originales sont sorties comme le fameux In Orbit du Clark Terry Quartet avec Thelonious Monk au piano, Sam Jones à la basse et Philly Joe Jones à la batterie. Classique absolu, ce disque qui met en avant la sonorité inventive du bugliste Clark Terry a été édité en 1958 par Riverside et cette nouvelle version permet une écoute claire et précise.
Deux autres musiciens plus discrets ou plus rares font l’objet de rééditions. The Cry est le projet du flûtiste Prince Lasha - un musicien proche d’Ornette Coleman qui est resté dans l’ombre - accompagné du saxophoniste Sonny Simmons. Pourtant c’est ce dernier qu’on entend le plus. L’autre particularité de ce bel album, c’est l’usage de deux contrebasses et d’une batterie pour compléter le groupe. Ni piano, ni guitare. Et l’enregistrement stéréo de 1962 permet d’avoir une basse dans chacun des canaux gauche ou droite.
Le pianiste Hampton Hawes (auteur du fameux livre Raise Up Off Me ) présente en quartet For Real !, un disque enregistré en 1958 et sorti en 1961, juste au moment de la mort du bassiste Scott LaFaro présent sur ces sessions. Apôtre du bop, Hampton Hawes est resté en retrait du succès et de la notoriété. Pourtant le pianiste ou le compositeur qu’il était n’a pas manqué du respect des autres musiciens. Puissent ces deux rééditions mettre en avant ces musiciens moins connus mais de si bonne inspiration.
Hampton Hawes : For Real ! - Contemporary Records / Craft Recordings
Prince Lasha Quintet : The Cry !- Contemporary Records / Craft Recordings
Clark Terry Quartet & Thelonious Monk : In Orbit - Original Jazz Classics Series / Craft Recordings
Il ne vous reste plus qu’à choisir le cadeau parfait dans cette sélection.