Scènes

Les Nuits de Querbes sont-elles plus belles que ses jours ?

Le festival Les Nuits et les Jours de Querbes s’est tenu du 9 au 11 août à Figeac, Capdenac-Gare et Asprières. Nous y étions pour les deux dernières soirées.


Il ne fait pas ses 22 ans, le festival Les Nuits et les Jours de Querbes. Même si depuis quelques années il s’est déplacé du hameau de Querbes au village d’Asprières, il a gardé ce côté bon enfant, bonne franquette, qui fait son charme, et sa programmation musicale maintient fermement le cap d’un jazz contemporain irréprochable.

Écrivains par-ci, musiciens par-là, lecteurs, performeurs, le public au milieu de tout ça. Ça lit, ça joue, ça écoute et applaudit, ça raconte, ça discute et débat ; à l’heure des repas tout le monde mange aux mêmes tables, se mélange à loisir et - c’est nouveau cette année - fait sa petite vaisselle individuelle dans les bassines collectives mises à disposition.

Nous sommes tous des Berlinois, clamait fièrement l’affiche cette année. Berlin la ville-monde était le centre de Querbes 2019 avec des écrivains invités comme Karin Kalisa ou Shida Bazyar, mais aussi des lectures d’ouvrages plus classiques comme le monumental Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin, auteur dont il me fut donné d’apprendre - à la faveur du dîner du samedi soir - qu’il repose dans un petit village des Vosges dont le maire, par le plus grand des hasards, assistait au festival. Le centre du monde, disions-nous.

Samedi soir, avant le premier concert, il n’était question que de Tobrogoï, présenté la veille au parc Capèle de Capdenac : un quartet à mobylettes (vintage, forcément) manifestement jubilatoire revendiquant un « tziganafreecansound » qui n’appartient qu’à lui, et où l’on retrouve de vieilles connaissances d’entre Toulouse et Tarbes : Fabien Duscombs, Colin Jore…

Mais ça, c’était avant.

Le premier concert du samedi, lui, réunissait deux autres vieilles connaissances : Jean-Marie Machado et Didier Ithursarry dont nous avions naguère filmé l’enregistrement de l’album Lua  [1]. Le répertoire est celui du disque ; l’entente est manifeste dans la musique - une conversation où chacun fait entendre son propos, ses propositions, dans une fluidité heureuse - autant que dans l’écoute mutuelle et les regards qu’échangent les deux musiciens par-dessus leurs énormes instruments. Il n’est pas question ici de révolutionner le monde de la musique mais de faire éclore sous nos yeux
"quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile."
Proximité, délicatesse, humanisme : c’est comme un moment d’humanité idéale qui nous est offert par la musique.

J.M Machado, D. Ithursarry

Second concert du samedi avec Sylvain Rifflet Quartet. Une improvisation qui démarre sur la fin de la lecture donnée par Noëlle Miral [2], et c’est Mechanics qui se lance. Répertoire qui doit beaucoup, on le sait, au minimalisme étasunien, comme en témoignent les titres des morceaux (« Glassicism », « From C »…) et qui, live, révèle une véritable puissance hypnotique. Le manteau rouge tombe très vite car il fait une chaleur d’étuve sur scène. Joce Mienniel captive le public par l’amplitude de sa palette à la flûte, son inventivité, sa versatilité ; Benjamin Flament intrigue par son set de percussions bien à lui et l’usage qu’il en fait, proche d’un gamelan, à la fois mélodique et instigateur d’une pulsation ténue mais inexorable. Phil Gordiani nous réserve quelques soli de haute intensité. Curieusement mixé très en arrière, le leader est parfois difficile à distinguer de la masse musicale - comme l’est la kalimba jouée par Joce Mienniel - mais cela contribue probablement à cette impression de continuum, de presque transe, qui émane du quartet. Un beau concert quoi qu’il en soit, marqué par une atmosphère particulière au croisement du rock, du jazz et du contemporain.

Il est presque minuit quand, sur la place, nous retrouvons Le Mystère des Eléphants, une institution dans le Nord de l’Occitanie, avec un effectif renouvelé en partie mais toujours aussi fanfaro-burlesque.

Julien Touéry, Emile Parisien

Dimanche après-midi, l’ensemble Grand Orphéon (Cécile Grabias, flûte, Nicolas Calvet, vocaliste, Laurent Guitton, tuba, Jean-Luc Amestoy, accordéon) présente sous un soleil implacable le concert de restitution du stage qu’ont encadré ses quatre musiciens.

Puis l’Émile Parisien Quartet ferme le festival avec un concert à 17 heures. Avec eux, la lecture ne précède plus le set mais devient un élément du premier morceau, trituré, étiré, condensé en même temps pour laisser place aux mots.
L’EPQ, comme l’appellent les initiés, est une sorte de miracle. Un ensemble qui parle à tout le monde, aux initiés - justement - comme aux béotiens pour peu qu’ils acceptent pendant quelques instants de se faire chahuter les oreilles : au bout d’un titre, le pli est pris, on ne se sent plus chahuté ; on se laisse embarquer. Il y a quelque chose d’un tour de force, une assertivité incroyable dans cette façon qu’ils ont de vous envoyer une musique à la fois audacieuse et joyeuse, acide et tonique, caustique et drôle, savante et désinvolte, faussement foutraque mais précise comme une montre suisse et d’une exigence rare. Tout ça sans se prendre aucunement le melon, avec une tranquille assurance et un évident bonheur de jouer ensemble, qui déteint sur la salle : rincés après une heure trente de concert dans une atmosphère surchauffée, le groupe et le public sortent, chacun par sa porte, avec un sourire accroché au visage.

Juste ce qu’il fallait pour Querbes. On est repartis ce dimanche soir, le cœur un peu gros que ça s’arrête si vite, en se disant à l’année prochaine… ou avant, au coin du cantou.

par Diane Gastellu // Publié le 22 septembre 2019

[2Vous ai-je dit qu’à Querbes, chaque concert débute avec la lecture à voix haute d’une œuvre littéraire en lien avec le thème ?