Chronique

Jean-Marie Machado & Didier Ithursarry

Lua

Jean-Marie Machado (p), Didier Ithursarry (acc)

Label / Distribution : Cantabile / L’Autre Distribution

L’histoire du jazz nous a montré combien les chefs d’orchestre pouvaient développer d’affinités avec certains de leurs musiciens, jusqu’à opter pour le duo et sa conversation nue qui autorise, au delà de la connivence, l’intimité. Ce que fît Duke Ellington avec Johnny Hodges, ou, plus près de nous, Andy Emler avec Thomas de Pourquery. Depuis plusieurs années, Didier Ithursarry est un membre récurrent des formations de Jean-Marie Machado, on a ainsi pu l’entendre dans Fiesta Nocturna, La fête à Boby, Lagrima Latina, ou, parmi les projets actuels du pianiste, dans le programme Pictures For Orchestra. On sait aussi, puisqu’il l’a fait avec Dave Liebman, que le pianiste aime placer ses partenaires de jeu dans des contextes presque opposés, en ayant recours à leur capacité à influer sur la couleur orchestrale comme à leur personnalité de soliste.

Le duo dont il est ici question est une des suites logiques de ce que Jean-Marie Machado et Didier Ithursarry ont cultivé ensemble. Il n’a pas été décidé, il est advenu. La musique qu’ils proposent est naturellement le reflet d’une belle complicité, les deux instruments évoluant souvent de manière accolée, sans qu’une précise répartition des rôles n’ait visiblement été déterminée. Tous deux solistes et accompagnateurs, non pas à tour de rôle mais dans un même élan, avec des surgissements, des commentaires, des envolées lyriques ou des ornements qui semblent destinés à mettre le jeu de l’autre en valeur plus qu’à de quelconques fins décoratives. Les échanges sont sereins, presque pudiques.

De ce refus d’utiliser les effets d’opposition, il résulte une musique chaleureuse et fluide qui trouve sa beauté dans les courbes plus que dans les ruptures. Il arrive que Jean-Marie Machado apporte du contraste, des rebonds par l’utilisation de dynamiques presque Monkiennes dans les graves, comme sur « JSB ». Mais dans son ensemble, l’empathie des deux hommes se matérialise par deux propos étreints. Le répertoire, des compositions de l’un et de l’autre pour deux esthétiques distinctes ainsi que deux relectures, favorise ce type d’échanges, avec des mélodies soignées dont les deux musiciens extraient des filaments lyriques.

La tension existe néanmoins, exploitée avec précaution comme durant l’improvisation intense de « Broussailles », la lecture de « Vuelta » où le piano se fait pressant et l’accordéon ardent, où encore les changements de climats de « Lézanafar », une composition à tiroirs où les arabesques qu’affectionne le pianiste sont chahutées par des passages plus graves. Mais dans Lua il est avant tout question de douceur, cette douceur qui s’apparente plus à une force vitale qu’à de la timidité. Ainsi en va-t-il de la sensualité de « Sentier évanoui », du jeu aérien que montre le duo sur « No Church But Songs » ou de l’interprétation sensible et dépouillée de « Lua », qui conclut l’album dans une touchante communion.

C’est avec une égale sincérité que le duo revisite « Perseguição » d’Avelino De Souza et Carlos Da Maia, ou le premier Nocturne de Chopin. La mélancolie chantante du fado et le raffinement de l’écriture romantique, non contents de donner lieu à deux très beaux moments de musiques, sont à l’évidence tout à fait appropriés à ce dialogue délicat et captivant.