Sur la platine

Les chansons de Gerry Hemingway

Le batteur Gerry Hemingway livre, vingt ans après, un nouveau disque de chansons.


Réputé pour ses collaborations avec de nombreux artistes de musique créative, auprès de qui il apporte, depuis le début des années 80, un savoir-faire toujours malléable et inventif, Gerry Hemingway est de ces batteurs qui font déborder l’instrument de sa simple fonction rythmique. Son jeu coloriste et en retenue travaille l’intériorité du geste, comme en témoigne dernièrement encore sa présence sur Dinner Music, apprécié dans ces colonnes. Pourtant, en marge de ces sollicitations et ses partenariats nombreux, de manière plus surprenante, Gerry Hemingway cultive également, de manière plus confidentielle, un amour pour la chanson. La chanson, et le fait de la chanter. Quand la batterie laisse place à la voix.

Ils sont quelques-uns à troquer de temps à autre leurs baguettes pour prendre le micro. Ou, pour être plus juste, à tenir à la fois les baguettes et chanter dans le micro : Brian Blade dans son FellowShip, Stokley Williams chez Ursus Minor, Robert Wyatt bien sûr. En France, Aldo Romano s’y est essayé il y a une quinzaine d’années, sans lendemain heureusement ; Bernard Lubat, lui, avec régularité et pertinence. Dans les nouvelles générations, Anne Pacéo ou dans les pays scandinaves Veslemøy Narveseny jouent des deux parties. Sans en faire une généralité, il est à noter que ces batteur.se.s-chanteur.se.s ne font pas dans les vocalismes doubiboubidou, cherchant à s’exprimer via un jazz vocal où la voix serait un instrument technique. Au contraire, ils préfèrent, tout bonnement et tout simplement, chanter. Comme on chante quand on est heureux ou trop triste.

C’est donc le cas pour Gerry Hemingway. Déjà en 2002, il faisait paraître chez Between The Lines Songs, disque dans lequel il mettait en avant son amour pour la chanson. Lisa Sokolov avait à charge d’interpréter et d’habiter le répertoire avec une voix puissante et expressive. Entouré pour l’occasion d’Ellery Eskelin, Herb Robertson et James Emery, on y entendait une douzaine de titres groovy parfois atmosphériques, surtout très mélodieux et à forte couleur américaine, entre une folk underground et un jazz relâché. Le Hemingway chanteur n’y apparaissait que sur un titre.

Tout autre est le travail vocal fournit sur Afterlife, sorti en novembre, puisque le batteur est derrière le micro sur tous les titres. Là encore, il ne cherche pas les prouesses techniques et prend clairement position dans le registre pop. Avec un côté rétro sur certaines pistes, lorsqu’il reprend la scansion du hip-hop des early eighties, son timbre chaud met en avant les compositions écrites de sa main, avec une légère et touchante fêlure dans les aigus ; jamais cependant il ne s’engage dans l’improvisation. Les arrangements sont, en effet, soignés et justifient à eux seuls l’habillage et la dynamique de ces chansons. Entre synthétique et le vibrant de l’acoustique, Gerry Hemingway soigne ses ambiances et valorise, là encore, des mélodies immédiates. Bänz Oester, Michael Moore, Ralph Alessi sont de la partie parmi les instrumentistes.

“Love me as I am” proclame-t-il : il ne cherche pas à pousser loin les formats ou les modes de jeu, privilégiant une simplicité élégante qui crée très vite un univers. Néanmoins, la succession de « The Long March », « Junkyard Magic » et de la délicieuse berceuse « Missing You » dans lesquelles il ouvre complètement son interprétation avec un plaisir évident constitue une suite de petites miniatures musicales réussies et accroît l’intérêt à porter à ce disque qui sort sur le label allemand Auricle Records.