Chronique

Erb /Mayas /Hemingway

Dinner Music

Christoph Erb (ts, ss), Magda Mayas (p), Gerry Hemingway (dms)

Label / Distribution : Veto Records

Disponible en cassette audio et, heureusement pour ceux qui ignorent tout des plaisirs ancestraux des petits engrenages à bande, sur la plateforme BandCamp, Dinner Music est tout simplement l’album que tous ceux qui suivent Christoph Erb et le label Veto Records attendent depuis des années. La rencontre, enfin, entre le saxophoniste et Gerry Hemingway, comme un résumé de cette scène improvisée de la ville de Lucerne où le percussionniste est installé et enseigne depuis maintenant plusieurs années. Pour les accompagner, c’est la pianiste berlinoise Magda Mayas qui s’invite, une bonne connaisseuse de la scène suisse (elle est une familière de la paire de contrebassistes Studer et Frey), et la direction dans laquelle va le trio est assez proche de ce qu’elle expérimente avec Spill, en compagnie de Christine Abdelnour et du batteur Tony Buck.

Symbole de cette musique aux franges du sensible, le morceau « An Agreement of Palates » où Erb cherche le souffle le plus chiche, comme s’il planait dans un éther lointain pour texturer des accords de piano minimalistes, qui s’effilochent avec le temps. Ce sont des ondes qui se rencontrent et se chevauchent sans chercher à s’affronter ou à se coaliser. Il en ressort une forme de langueur que le batteur souligne avec sa grâce habituelle. Hemingway aussi fait dans l’économie de gestes. Ses baguettes sont des fusains qui ombrent, une calligraphie de l’instant qui ne cherche pas la pulsation mais plutôt à délimiter un paysage, à faire de ses cymbales l’atmosphère dans laquelle le saxophone et le piano peuvent évoluer en toute quiétude.

Il y a dans Dinner Music comme un hommage au vent. Il passe dans le saxophone d’Erb, impassible, monochrome lorsqu’il souffle sur « A Feast of a Decision » et fait vibrer doucement les tintements de ses compagnons. Le piano de Mayas enfle à mesure que les cordes sont caressées dans les tréfonds de sa mécanique, et Hemingway joue tout en effleurement. Il ne faut pas cependant penser que le flux soit immuable ; ainsi, au mitan de ce morceau, le saxophone s’efface, jusqu’à devenir fantomatique et laisser place à un dialogue plus intense entre les cordes lestées d’un piano préparé, joliment étouffé de tintements, et une batterie qui rivalise d’idées et de sons pour créer de nouveaux paysages. Une musique instinctive, à la mesure de ce qu’on escomptait d’une telle rencontre.

par Franpi Barriaux // Publié le 15 mai 2022
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