Mihály Borbély
Hungarian Jazz Rhapsody
Mihály Borbély (ts, as, tárogató), Dániel Szábo (p), Balázs Horváth (b), István Baló (dms)
Label / Distribution : BMC Records
S’il fallait transposer, ce qui serait à la fois réducteur et confus tout en restant positif, on pourrait imaginer Michel Portal conviant un quartet d’habitués francophones pour enregistrer leurs morceaux. Telle est en effet la démarche de Mihály Borbély pour cette Hungarian Jazz Rhapsody. Mais la comparaison s’arrête là. Évidemment, le multianchiste hongrois a plusieurs points communs avec son homologue français, notamment l’habitude de naviguer entre classique, musique contemporaine et jazz. Enregistrée en 2011 mais publiée trois ans plus tard, cette excursion dans l’imaginaire des compositeurs magyarophones ayant choisi le jazz comme idiome permet à ce compagnon de route du compositeur Peter Eötvös d’exposer sa capacité à s’approprier différents styles, avec le même quartet que pour son Hommage à Kodály. Une formation râblée et volubile que Borbély dirige comme par télépathie.
Il ne faut pas chercher chez Borbély une quelconque exaltation du roman national. Le thème est ici le formidable brassage de la culture magyare, illustré par le « Polymodal Blues » de Kálmán Oláh où les remarquables interventions du batteur István Baló nous rappellent à quel point la Hongrie est une terre de jazz. L’histoire particulière de cette musique derrière le rideau de fer, où elle était à la fois autarcique et transgressive, a nécessairement favorisé la fraternité entre musiciens, ainsi qu’un mélange quasi naturel avec la musique écrite occidentale. Grand pédagogue, Borbély occupe une place centrale dans ce paysage pour avoir dirigé la section jazz du Conservatoire national. De la reprise d’« Itélet » (Fekete-Kovács), où s’illustre le pianiste Dániel Szábo, jusqu’à la suite « Hungarian Jazz Rhapsody » (signée du vénérable guitariste Attila Zoller), construite autour du phrasé sec et clair du contrebassiste Balázs Horváth, tout met en perspective l’évolution du jazz hongrois. En alternant ainsi souvenirs et transmission, Borbély ne fait que perpétuer la tradition de collectage qui a toujours marqué la musique de son pays.
Fin connaisseur de la tradition d’Europe centrale et des Balkans [1], Borbély trouve adroitement l’équilibre entre la musique populaire et des formes plus radicales, et joue des décalages et des ressemblances de chaque compositeur avec une grande finesse. Ainsi dans la suite qui confronte « Gloomy Sunday », chanson rendue célèbre par Billie Holiday [2], à un morceau du contemporain Tamás Deák, le quartet offre une musique tout en reliefs, au travers desquels Borbély se faufile, tantôt au saxophone, tantôt au tárogató (sorte de clarinette à anche double). Le morceau lyrique de Deák illumine les ténèbres de ce sombre dimanche qui fut longtemps sous-titré « Hungarian Suicide Song ». Plus qu’un panorama, Hungarian Jazz Rhapsody est une formidable boussole qui ne devrait jamais quitter les amateurs de jazz européen.