Chronique

Miles Davis, 80 musiciens de jazz témoignent.

Franck Medioni

Deux ans après un magnifique recueil de témoignages consacré à John Coltrane [1], Franck Medioni [2] récidive avec un nouvel ouvrage, tout aussi passionnant, consacré au « Prince des ténèbres », l’immense et énigmatique Miles Davis [3].

Autant le dire tout de suite, ce livre, comme son prédécesseur, est une somme unique et indispensable qui restera longtemps à portée de votre main tant l’intensité des témoignages rassemblés forme un tout sans équivalent. Un travail de collectionneur à lire et relire. Car ce Miles Davis-ci est l’archétype du livre de chevet ; rigoureux et débordant de passion, il irradie l’admiration lucide que portent à Miles Davis ceux qui s’y expriment - qu’il aient travaillé à ses côtés (Wayne Shorter, Herbie Hancock, Dave Liebman, Roy Haynes, Ron Carter, Mino Cinelu, John Scofield, Dave Holland, John McLaughlin, Marylin Mazur)… ou en aient subi l’influence (Erik Truffaz, Médéric Collignon, Jean-Luc Cappozzo, Henri Texier, François Jeanneau…) Nul besoin pour le comprendre de citer tous ceux qui témoignent : on a affaire à un petit trésor qui s’apparente, à sa manière, à un travail de mémoire.
Il est servi en cela par de nombreuses photographies, et par une conception identique à celle du Coltrane de F. Medioni : chaque témoignage est introduit par une courte biographie du musicien, qui s’exprime longuement. Ensemble, ils dessinent en creux un somptueux portrait de celui qui, finalement, restera une énigme. Cet artiste charismatique, ce créateur insatiable qui aura entraîné dans son sillage une foule de musiciens durant près de cinquante ans et bouleversé le cours de l’histoire de la musique au XXè siècle, n’en apparaît pas moins comme un être humain complexe et mystérieux qui se laisse à peine deviner à travers les histoires personnelles qui nous sont narrées.
Cerise sur le gâteau, une introduction signée Francis Marmande relate sa Dernière rencontre avec le grand Miles, en juin 1991. En quelques pages, tel un peintre traçant un portrait d’un pinceau pointilliste, et en nous invitant sur la pointe des pieds dans l’intimité d’un rendez-vous à New York, il résume parfaitement ce qui suit. On pense tout connaître de Miles Davis à travers son œuvre, mais finalement, on ne fait qu’approcher un mystère. Celui de la création, très probablement.