Chronique

Or Solomon

Improvisations pour Georges Braque

Or Solomon (p, objets)

Label / Distribution : Autoproduction

L’album solo Round Trips, sorti en 2012, nous avait permis de définir avec acuité l’univers à la fois onirique et volontaire d’Or Solomon. Ce pianiste reste souvent dans les mémoires comme ayant été le comparse de Magic Malik au sein de son quartet, au début de ce siècle ; il a gardé de cette période un goût pour les rythmiques complexes et les atmosphères aériennes. Mais depuis plusieurs années, Solomon aime à travailler en soliste une musique improvisée aux contours élégants, qui puise largement dans son bagage classique. En témoigne ici « Sun », où la main droite se prélasse dans une atmosphère cotonneuse à la poésie toute « satienne » avant de plonger dans l’ardente gravité d’une main gauche martelée.

En 2013, Or Solomon est invité à se produire à l’occasion de la Nuit Blanche au Grand Palais. Le musée parisien accueille alors une exposition de Georges Braque ; on lui suggère donc d’improviser sur les toiles, et ces Improvisations sont le fruit de ce concert. Solomon ne cherche pas à transcrire sur son clavier noir et blanc les tableaux aux couleurs chaudes, mais s’inspire de la démarche globale du peintre pour s’emparer de l’exposition toute entière. L’idée n’est pas vaine. On retrouve un morceau déjà présent sur Round Trips, « No Mad », une approche très déconstruite où le mouvement revêt une importance capitale. D’autres pièces de cet album, écourtées, se déploient sans se diluer, se font plus anguleuses.

Le propos fouillé, précis, fourmille de détails, comme pour mieux brouiller les pistes. Le choix par exemple de livrer la captation brute, sans montage, permet de revivre le concert tel qu’il a été sous la verrière du Grand Palais, même quand la sonnerie d’alarme d’un audio-guide apporte un contrepoint cristallin au jeu lumineux du pianiste, ou qu’un murmure s’instille dans son esquisse. Il s’en amuse et se sert de ces petits incidents pour ouvrir d’autres angles, d’autres points de vue, pour découvrir d’autres lumières. Lorsqu’il jette au cœur de son piano quelques balles de ping-pong pour mieux harmoniser l’aléatoire (« X-Ping »), Solomon parachève son voyage contemplatif en se jouant de la symbolique cubiste. La balle et la corde, stylisées sur la pochette renvoient certes aux perspectives du peintre, mais sont aussi partie prenante de l’esthétique du pianiste, qui nous propose ici bien plus qu’une visite guidée.