Chronique

Orchestre National de Jazz

Dracula

Fred Maurin (perc, keyb, g, dir), Estelle Meyer (Dracula), Milena Csergo (Mina), Pierre François Garel (narrateur)+ ONJ (line-up au pied de l’article)

Label / Distribution : ONJAZZ Records

Dracula est une femme. Le postulat peut sembler iconoclaste, il ne l’est pas tant : Dracula est un titre qui se repasse, qui s’acquiert d’une embrassade. C’est une histoire qui a connu de nombreux avatars, symbole d’un amour indépassable et vénéneux que l’Orchestre National de Jazz a décidé de mettre en musique et en album, avec les magnifiques dessins d’Adèle Maury. Si choix de casser les codes il y a, ce n’est pas tant sur le fond que sur la forme ; incroyable ONJ que celui de Fred Maurin, qui non content de multiplier les line-up différents, multiplie aussi les objets avec ce livre-disque luxueux. L’histoire est simple : un narrateur (Pierre-François Garrel) conte une histoire jouée par Milena Csergo (forcément Mina Harker junior, prénom prédestiné) et l’incroyable Estelle Meyer, Dracula féminin à la voix de stentor, profonde comme les abysses. Les musiciens de l’orchestre jouent avec le conte, apportent de l’étrangeté et de la légèreté lorsque c’est nécessaire (Fanny Ménégoz à la flûte, pour un thème de dentelles), et dur comme le Metal lorsque l’intensité dramatique le réclame (Christelle Séry, qu’on est heureux de retrouver dans ce projet).

Les images de Dracula à travers le temps ont évolué, de l’origine élisabéthaine jusqu’à Mavis, petite punkette de l’Hôtel Transylvanie en passant par la vaporeuse jeune femme du roman de Rosny Aîné. Le Dracula de l’ONJ énonce une autre vérité, qui garde ses pré-requis : l’arrivée nocturne, le château étrange rempli de victuailles (toutes rouges ici, betteraves, fraises écrasées, sang de bœuf, jus de tomates emballés par la batterie de Rafaël Koerner et la contrebasse de Raphaël Schwab, entre autres vieux compagnons de Maurin…), et l’amour perdu dans l’ombre du deuil. Mais ce spectacle, qu’on espère voir jouer rapidement n’a pas la noirceur des cauchemars de Bram Stoker ni de ceux de Coppola. Pas de Van Helsing pour traquer le vampire. Ce Dracula-ci est en lutte contre sa condition, et son amour un peu pataud est l’occasion de quelques tableaux particulièrement colorés où Guillaume Christophel et Fabien Debellefontaine mènent une danse échevelée de petits crabes. Le Dracula de l’ONJ est un spectacle pour enfants qui fait trembler au milieu des bonbons d’Halloween. Une tradition zappaïenne, qui s’en étonnera concernant Fred Maurin ?

Le travail orchestral est ici particulièrement ouvragé : on remarque quelques instants où l’orchestre s’échappe de la narration, une danse fugace où le cor de Mathilde Fêvre comme la trompette de Quentin Ghomari sont deux éléments d’un subtil mélange de timbres. Dans cette histoire de Dracula, le vampire est alchimiste. À entendre l’équilibre de « La Forêt », entre soufflants et électricité, est-on sûr que Maurin n’a pas été mordu ? Si c’est le cas c’est une bénédiction car l’alchimie est parfaite, et pas seulement musicale. La narration est sur un fil entre la tristesse qui « se blottit contre cette peau froide » (« Larmes tranchées le long du cou », remarquable Judith Wekstein) et fantaisie que n’aurait pas reniée André Hodeir (« Me prendre à ton cou »). Nul besoin d’ail pour écouter et lire ce bel ouvrage. Mais pour tout amateur du mythe de Dracula, le salvateur coup de pieu dans le cœur est garanti. Encore une belle page tournée par cet immortel orchestre.

par Franpi Barriaux // Publié le 26 septembre 2021
P.-S. :

Fanny Ménégoz (fl), Fabien Debellefontaine (as, cl), Guillaume Christophel (ts, bcl), Quentin Ghomari (tp, flh), Mathilde Fêvre (fh), Judith Wekstein (btb), Christelle Sery (g), Raphaël Schwab (b), Rafaël Koerner (dms), Pauline Deshons (voc)