Scènes

Paal Nilssen-Love colore son free

Avec son quintet New Brasilian Funk, le batteur Paal Nilssen-Love nous invite à un free jazz renouvelé.


New Brazilian Funk, photo Rémi Angéli

Réputé pour la puissance de sa frappe comme pour la radicalité de son geste, le batteur norvégien Paal Nilssen-Love, sans fléchir sur ces deux principes, a fourni une prestation beaucoup plus nuancée qu’attendu sur la scène du Petit Faucheux ce mercredi 16 octobre. Agrémentant son free jazz nordique originel de couleurs et d’instruments venus du Brésil, il invente un objet hybride qui, s’il surprend, fonctionne tout à fait.

Paal Nilssen-Love, photo Rémi Angéli

« On ne va pas se mentir » comme le disent les commentateurs de foot. Nous non plus ici, on ne va pas se mentir. Si nous sommes ce mercredi 16 octobre dans les fauteuils confortables du Petit Faucheux, c’est avant tout pour assister à un concert du batteur Paal Nilssen-Love. Avec un nom qui contient tout à la fois la violence de l’empalement et la force de l’amour, nous avons là un concentré de sa capacité à créer de la musique. Actif depuis 25 ans, partenaire de jeu de Matt Gustafsson, de Ingebrigt Håker Flaten, de Peter Brötzmann (voir nécro) ou encore Ken Vandemark, ancien membre de Atomic, P.N.-L. poursuit droit sa route dans le free international et principalement nord-européen. Sans négliger, il est vrai, quelques incartades originales qui renouvellent intelligemment cette musique possiblement monolithique de par sa radicalité et, par conséquent, peu encline au métissage. C’est pourtant le cas avec la formation New Brasilian Funk que le batteur dirige. Donc on ne va pas se mentir, nous ne sommes pas là pour ça, mais ce qu’on reçoit avec le quintet présent sur scène est une belle surprise.

Entouré, d’un côté, par l’ancienne garde norvégienne, notamment le saxophoniste Frode Gjerstad, vétéran de la scène free, ou le bassiste Mattis Kleppen à la basse électrique et d’un autre, par le guitariste Kiko Dinucci, par ailleurs membre de l’apprécié groupe Méta Méta, et du percussionniste Paulinho Bicolor, le batteur fait la jonction. Placé haut sur son tabouret, il frappe tout ce qu’il touche, s’appuyant sur la moindre proposition de ses partenaires pour créer une impulsion rythmique qui va s’ajouter aux précédentes, créant au bout du compte un feu particulièrement dense.

Paulinho Bicolor, photo Rémi Angéli

Il n’est pas le seul, pourtant. Sur la base d’une paire guitare/basse très noise qui édifie un mur de son lasuré d’électricité, le quintet déroule un set puissant que les interventions du saxophoniste, atrophiées et extraverties - sporadiques aussi, comme s’il était à l’affût de l’instant clé pour intervenir - tirent vers le haut en y ajoutant une densité supplémentaire. Cette musique lourde totalement exacerbée est toutefois égayée par un jeu de cuica, cette percussion à friction brésilienne qui produit des petits cris si caractéristiques. Des whou whou, par-ci par-là, jaillissent et surprennent au milieu de cet embrasement, amenant des tonalités enjouées et légères aussi frénétiques qu’entraînantes.

On prend une claque et on tend l’autre joue.

Que ce soit l’apport de cet instrumentarium atypique dans ce contexte, ou l’ouverture d’esprit des musiciens, le répertoire convoque une diversité d’atmosphères renouvelées. Le chant en portugais de Dinucci notamment, volontairement mal dégrossi, ne cherche pas la technicité mais plutôt la transe primitive. Il crée un choc des esthétiques qui, contre toute attente, fonctionne. La basse profonde nous entraîne vers des contrées punk avec le craquant et les attaques qui caractérisent cette musique, se payant le luxe d’une partie en lead d’une tendresse écorchée. Plus tard, la prise en main par Nilssen-Love des qraqeb (percussions en métal) nous fait à nouveau traverser l’Atlantique et gagner les contrées nord-africaines où se vit la musique gnawa.

Tout fait son, en réalité, dans ce groupe à l’œcuménisme outrancier, mais tout fait sens aussi puisqu’il se construit sur la générosité d’une intention interprétée au maximum de son intensité. On en reste collé à son fauteuil, certes, mais les oreilles emplies d’une joie criarde et rayonnante. On ne va pas se mentir : on prend une claque et on tend l’autre joue.