Chronique

Papanosh

Your Beautiful Mother

Thibault Cellier (b), Quentin Homari (tp, tb), Sébastien Pallis (acc, cla), Jérémie Piazza (dms), Raphaël Quenehen (saxes)

Label / Distribution : Label Vibrant

On attendait depuis très longtemps des nouvelles des Vibrants Défricheurs [1]. Depuis plusieurs années, de festivals en participations à des orchestres très divers, et jusque dans les travées du CNSM, la jeune scène jazz hexagonale bruisse du talent individuel des musiciens de ce collectif sans que cela ne se traduise collectivement par un disque, validation ultime du fait musical. Il y a bien eu Kumquat et la révélation du jeune saxophoniste Raphaël Quenehen, mais rien qui porte vraiment l’empreinte de la folie douce des Rouennais, de cette volonté commune de réunir les expressions plastique et musicale sous le même sceau. Pourtant, la scène actuelle ne s’y est pas trompée : de la Grande Campagnie des Musiques à Ouïr jusqu’à la Compagnie Lubat, beaucoup d’orchestres accueillent en leur sein un Vibrant Défricheur [2] ; peut-être fallait encore que tout cela mûrisse. Et passe par la création effective d’un label [3], terrain de jeu idéal pour s’épanouir en liberté.

Depuis toujours, dans cette aventure née sur les bancs du lycée et poursuivie sur ceux du conservatoire, Papanosh est un vaisseau amiral aux effectifs changeants. Tout est né d’une passion commune pour le jazz radical et le répertoire traditionnel du centre et de l’est de l’Europe, peu importe qu’on le nomme Balkans ou Klezmer. Papanosh en a tiré une musique libre et festive, agrémentée de ce petit grain de folie dérisoire qui a forgé l’identité des Rouennais. Au fil du temps, le propos s’est fluidifié, jusqu’à se fixer en quintet, arrivé second au concours de La Défense (catégories « Groupe » et « Compositions »). C’est cette formule que l’on retrouve sur Your Beautiful Mother, première référence du Label Vibrant.

C’est au contact de l’accordéoniste et claviériste Sébastien Palis et du trompettiste Quentin Ghomari que Papanosh a considérablement évolué. Auteurs de la plupart des morceaux, ces deux-là laissent de côté le lyrisme de la musique traditionnelle pour se concentrer sur l’énergie brute. Sur « Skätefulk », moment le plus abouti de l’album, le dialogue anguleux entre le piano de Palis et la batterie (Jérémie Piazza) est rendu frénétique par le groove de la basse (Thibault Cellier), dans la plus pure tradition free. Loin des attitudes rock qu’on a pu lui voir dans le groupe OK sur le label Carton, Piazza forme avec Cellier une base rythmique qui illumine l’album, jusque dans cette « Ouverture », signe d’une complicité devenue peu à peu fusionnelle et surtout diablement solide.

C’est en tout cas l’écrin idéal pour que les soufflants tressent leurs timbres dans une esthétique colemanienne évidente, qui trouve sa plus belle expression dans « Gibril Circus ». Si Quenehen est au centre de l’orchestre et en détermine la couleur et la température, c’est Ghomari qui constitue l’éclatante surprise de Your Beautiful Mother, par son growl impeccable comme par ses soudaines accélérations, déjà très remarquées au sein de Ping Machine.

Très vite, on songe aux productions de Budapest Music Center (BMC) dans cette façon d’aborder une musique universelle qui ne s’enferre pas dans des rituels fatigués. On dire que la contrebasse de Cellier évoque celle de Matyas Szandai et voilà tout… Mais par sa volonté de trouver l’étincelle émancipatrice dans les rhizomes et les traditions communes, Papanosh rejoint la liaison transatlantique entre New York et Györ [4] de Mihaly Dresch ou Istvan Grencso. Ainsi, le très onirique « Auprès des douces eaux », joué dans un souffle de sopranino ou un bâillement d’accordéon, évoque ce folklore imaginaire qui n’a de cesse de trouver de nouvelles facettes et de s’inventer de nouveaux terrains à défricher. La maturité naissante a quelque chose d’absolument réjouissant.

par Franpi Barriaux // Publié le 30 avril 2012

[1Dont l’auteur de ces lignes est un fidèle compagnon de route, précisons-le d’emblée…

[2On en trouve aussi, en tant que remplaçants, dans l’ONJ de Daniel Yvinec ou le Surnatural Orchestra.

[3Disques sont disponibles sur le site.

[4Ville ou se déroule le festival Mediawave, qui est le terreau de la scène jazz magyare. Des rencontres internationales s’y nouent souvent, entre Pulcinella et Dzsindzsa par exemple, avec une démarche assez semblable de celle de Papanosh.