Chronique

Pierre de Bethmann Quartet

Agapé

Pierre de Bethmann (p, synth), David El Malek (ts), Simon Tailleu (b), Antoine Paganotti (d).

Label / Distribution : Aléa

Et l’amour dans tout ça ? Pierre de Bethmann en livre, avec ce nouveau disque, une vision parmi les plus belles, en se référant à la Grèce antique qui lui avait dédié plusieurs divinités, tels Aphrodite ou Eros. En ces temps lointains, il était aussi question d’Agapé qui n’est pas une divinité, mais l’expression d’une forme d’amour inconditionnel. Et peut-être ici, pour ce qui concerne la musique, d’une totale spontanéité : ce nouveau disque, pas forcément planifié, est le fruit d’une session de deux jours au studio Ferber en février 2023, dont la première séance avait donné naissance à Credo, paru au début de l’année 2024. Ayant remis en selle la formule du quartet, le pianiste et ses partenaires (le fidèle David El Malek, compagnon de toutes les aventures ou presque, au saxophone ténor, Simon Tailleu à la basse et Antoine Paganotti à la batterie) étaient en ce second jour habités d’une telle énergie qu’ils entreprenaient dès le lendemain une exploration supplémentaire du champ de leurs possibles.

Bien leur en a pris, car ce deuxième volet est une nouvelle démonstration de ce que peut être le jazz quand il ne cherche rien d’autre qu’à dire la vie dans toute la gamme de ses émotions, sans jamais perdre de vue la nécessité d’une expression provenant en droite ligne du cœur. Ici, l’exigence de l’écriture – complexe et fluide en même temps – va de pair avec l’intelligence du collectif et son art de la conversation, au service d’une musique d’une réelle beauté formelle conjuguant force d’attraction mélodique, sensibilité, pulsation et quête de l’imprévu. Écouter cette musique, c’est vivre chaque instant, en éveil constant. Et aussi quand on la joue, bien sûr. Pierre de Bethmann, qui recourt parfois au synthétiseur pour élargir la gamme de ses couleurs, est constamment aux aguets, tel un félin ; on devine chez lui un sourire de contentement lors des interventions de David El Malek dont on sait la profondeur presque mystique et le cheminement introspectif. Il y a entre eux une histoire de longue date qui illumine chaque note jouée. Ce que vit pleinement de son côté la cellule rythmique, certes apparue plus récemment sur ce chemin, mais qui a su imposer sa griffe, toute en souplesse et force tranquille.

Ce quartet-là est, à n’en pas douter, l’un des plus passionnants qui soient. Redisons-le, c’est le jazz, tel qu’on l’aime : vivant et vibrant.