Chronique

Pierrick Hardy Acoustic Quartet

L’Ogre Intact

Pierrick Hardy (g, cl), Catherine Delaunay (cl, cor de basset), Régis Huby (vln), Claude Tchamitchian (b)

Label / Distribution : Emouvance

Lorsque la forme s’accorde avec le fond, on est certain de tenir un bel objet. Quand celui-ci est labellisé par Émouvance, qui a toujours ravi par sa cohérence et ses partis pris, c’est un gage supplémentaire. Mais la musique de Pierrick Hardy a-t-elle besoin de gages ? Loin des usuriers et entomologistes de tout acabit, elle sait être follement polymorphe. Évanescente dans le tutti inaugural d’« Éléonore d’Aragon », ci-devant reine de Chypre et muse légère de la clarinette de Catherine Delaunay et du violon de Régis Huby qui s’entrelacent sur l’archet flegmatique de Claude Tchamitchian. Mais aussi fermement plantée dans le sol lorsque sur le bien nommé « La Violence du terrain », la guitare de Hardy et la contrebasse de Tchamitchian s’affrontent dans un duel hérissé d’objets tranchants que n’aurait pas renié Raymond Boni, avant que le reste de l’Acoustic Quartet vienne terraformer tout cela dans un idiome très contemporain.

Contemplatif, Pierrick Hardy l’est pleinement. Tout au long de ses compositions, on perçoit un sens de l’observation et de la place laissée à chacun. Musicien rare, on l’a entendu récemment dans les Murmures d’Yves Rousseau où il avait le rôle de grand régulateur. De même, il était de l’aventure de Jusqu’au dernier souffle… de Catherine Delaunay, dans un instrumentarium peu éloigné de ce quartet. À la guitare, il induit une trame sans avoir besoin de diriger ; parfois même, il se laisse submerger par les timbres, s’effaçant pour ne laisser que ce filigrane émotionnel. Une présence fantomatique qu’on pourrait croire négligeable si la prise de son d’Antonin Rayon n’était aussi soigneuse, laissant passer les souffles, les gestes, le son du mouvement qui forge à cette musique un caractère à part (« La Fresque », véritable bouquet final de L’Ogre Intact). Nous avons affaire ici à une famille, des musiciens qui communiquent ensemble des sentiments en peu de notes, et cela se ressent à l’écoute. Il se dégage quelque chose de magnétique et d’étrange, jusque dans le titre. Quel est cet Ogre ? Comment se fait-il que ce colosse au pied d’argile qui danse en sautillant sur les envolées de Catherine Delaunay ne se soit un peu fendillé, ne serait-ce que pour la patine ?

Le premier morceau, « Avant dire/Tamasaburȱ », comme un manifeste, porte le nom d’un célèbre acteur de kabuki. On n’est guère surpris que L’Ogre intact se réfère à cet art ancestral du Japon. On y retrouve ce mélange savamment travaillé de l’épique et de l’épure, chacun à tour de rôle, comme un équilibre. Dans ce morceau, que Hardy ouvre avec Tchamitchian sur un riff qui pourrait être rock, Catherine Delaunay et Régis Huby jouent à un jeu de masques troublant et tournoyant, en douceur et recherche d’espace. Et puis soudain c’est le silence, la guitare s’envole vers une immensité sauvage et aride qui ressemble à la pochette : une plaine balayée par les vents, une montagne nue rayée de nuances qu’arpente un homme seul au milieu des éléments. Une goutte d’humanité qui donne vie à une beauté d’apparence hostile. Une belle définition de ce disque.