Chronique

Yves Rousseau

Murmures

Anne Le Goff (voc), Pierrick Hardy (g), Thomas Savy (bcl), Yves Rousseau (b), Keyvan Chemirani (perc)

Label / Distribution : Abalone / L’Autre Distribution

Le contrebassiste Yves Rousseau a de l’attrait pour les mots. Beaucoup se souviennent de Poète, vos papiers !, il y a dix ans maintenant, tant ce disque fut fondateur. Avec un orchestre de fidèles et deux chanteuses appelées à des carrières majeures (Claudia Solal et une jeune Jeanne Added époustouflante), il avait mis en musique Léo Ferré en faisant fi des antiennes. Avec l’Archimusic de Jean-Remy Guédon, autre fondu de littérature, on a pu le voir approcher Sade et même Nietzsche. Musicien sensible, attentif aux éléments, il lui fallait creuser loin dans l’intime avec un écrivain peut-être moins en vue, bien qu’académicien, mais qui sonde des atomes et des sensations charnelles qui lui sont chers et parfois impalpables ; du pied à la pierre, voici donc Murmures, inspiré des textes de François Cheng dans lesquels Yves Rousseau se jette à cœur perdu avec la douceur qui le caractérise. Ainsi le bien nommé « Caresses », poème issu du recueil Double Chant paru il y a vingt ans, où il construit avec la clarinette basse de Thomas Savy un doux écrin pour la voix d’Anne Le Goff.

L’équipe autour de Rousseau a changé : on ne trouve pas ses vieux complices Jean-Marc Larché et Régis Huby, même si ce dernier publie le disque sur le label Abalone. Comme pour habiller au mieux les mots de Cheng, il s’entoure d’un quartet très chambriste et porté sur les basses, ce qui colore de nuit certains morceaux, à commencer par « Enigmes » où d’un solo de contrebasse volontaire mais sans agressivité, il lance une discussion avec le guitariste Pierrick Hardy, remarquable régulateur d’ambiance que l’on avait pu entendre dans Jusqu’au Dernier Souffle, le spectacle de Catherine Delaunay sur la Première Guerre Mondiale. « De la terre mortelle, que pourrais-tu craindre ? » nous rassure Le Goff. Si la nuit règne sur Murmures, elle est quiète et accueillante. Elle a su contourner l’automne, « résolus à ne plus mourir de nostalgie ». Elle est bardé de mille nuances qui s’échappent des graves unissons soulignés par le zarb de Keyvan Chemirani, comme un soupçon d’Orient. Le soleil se lève à l’Est.

Rencontre de formidables mélodistes, Murmures est surtout marqué par la découverte d’Anne Le Goff. La chanteuse est connue pour ses aventures classiques, notamment au sein du chœur Mikrokosmos avec qui Yves Rousseau travaille. Voix tannique et pleine, plus proche dans sa tessiture de Clotilde Rullaud que des habituelles mezzo-soprano qui investissent ce type de projets, elle apporte à ce disque et aux textes du poète une dimension moins évanescente sans cependant y ajouter du poids. Sur « Pierre à encre », en toute fin d’album, elle entame un pas de deux avec la clarinette basse de Savy, tel les poumons de ce quartet. La suavité qui en résulte a la chaleur rassurante du velours qui se lustre parfois au contact des pulsations de Chemirani. Murmures est un disque qui s’écoute et se savoure avec le temps, qui abandonne ses sédiments dans la mémoire, qui émeut à chaque mot parfois, comme pour mieux laisser la parole à Cheng : « Accéder au chant par le plus pur silence ». La voi(e)(x) nous est ouverte.