Chronique

Punkt.Vrt.Platik

Somit

Kaja Draksler (p), Petter Eldh (b), Christian Lillinger (d)

Label / Distribution : Intakt Records

L’album s’ouvre sur un coup de cymbale, ouvert, mouillé et long. Une sorte de point d’orgue, mais au début.
Puis, immédiatement, ça démarre. Toute la mécanique du trio se base sur cette attitude, à ne pas remplir l’espace pour rien ; pas d’intro, ni coda, pas d’exposition du thème, pas de fioriture. Dans le vif du sujet, ici et maintenant. Et quand tout est dit, on s’arrête net. Les digressions épilogues ne servent à rien.

Ce deuxième disque du trio Kaja Draksler, Petter Eldh et Christian Lillinger vient conforter tout le bien qu’on pensait déjà du premier. Deux bonnes années sont passées, une pandémie et des confinements, l’absence de concerts, tout un ensemble d’évènements qui ne laissent pas indifférents, ni l’artiste, ni l’auditeur. Aussi, en septembre 2020 lors de l’enregistrement à Berlin, les musicien.ne.s se sont laissé.e.s porter par une énergie libératrice.

Plus souple, moins tendu, mais toujours aussi précis et dynamique, leur musique est un concentré d’effets, de structures, de rythmes et de nombreuses surprises pour les oreilles. Les trois instrumentistes sont tous au même niveau rythmique, ce n’est pas la batterie qui en a le monopole, c’est une fonction vitale partagée. Kaja Draksler joue sur deux pianos droits, en même temps et alternativement. Cela donne des effets sonores très particulier, des tonalités différentes, des différences de toucher et d’attaque aussi.
Cette vitalité, à la fois dans la musique, même dans les mélodies – l’esthétique minimaliste, très rythmique, très découpée n’empêche en rien le développement de mélodies – que dans l’approche technique, le jeu, l’enregistrement même, est particulièrement sensible à l’écoute.
L’enregistrement capte également les petites scories du jeu (bruit de cordes, claquements). Des preuves de vie.

A de rares moments, les membres du trio s’offrent quelques échappées en solitaire, à l’image du court solo de batterie sur « Enbert amok », une reprise jouée par le quartet Amok Amor.

Hormis les pièces plutôt lentes comme « Morgon Morfin » où le piano déroule une arabesque et « Natt Raum », petite comptine à chausse-trappes qui défie les lois de la gravité rythmique, à cloche-pied sur le fil du rasoir, signés Eldh, les compositions sont de Draksler ou Lillinger. Les notes de pochettes, passionnantes sont du pianiste Alexander Hawkins.

Ce disque, encore plus que le précédent, est le plus sûr moyen d’appréhender l’univers musical de ce trio, univers aisément transposable dans le grand ensemble Open Form for Society, mais en plus organique et avec une forme d’humour décontracté.

Les trois mousquetaires de cet enregistrement magnifique ont le panache des bretteurs assurés.

par Matthieu Jouan // Publié le 23 mai 2021
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