Tribune

Eldh, Draksler, Lillinger : Die drei Musketiere

Alignement des planètes, hasard du calendrier, le trio casse la baraque du jazz


Rarement une rythmique jazz n’aura été aussi active et inventive que celle que composent ces trois musicien.ne.s européen.ne.s : la pianiste slovène Kaja Draksler, résidant entre Copenhague et Kranj son village natal, le contrebassiste suédois Petter Eldh, qui est passé par Copenhague avant de s’installer à Berlin et le batteur allemand Christian Lillinger, berlinois également. Tout comme les Trois Mousquetaires, ils ont leur D’Artagnan, nous y reviendrons.

Pourquoi ces trois personnalités sont-elles aussi importante aujourd’hui sur la scène jazz européenne ? Parce qu’elles portent, inventent, représentent une même esthétique, celle d’une musique qui utilise le cadre contraint comme porte vers une totale liberté. Une esthétique qui puise sans ménagement dans la musique contemporaine et dans la musique électronique, dans les formes orchestrales minimalistes, les structures musicales en brisures, en éclats, aux rythmes changeants, aux textures trompeuses. Tous les trois participent aux projets parmi les plus excitants de cette période.

En premier lieu, bien entendu, leur propre trio Punkt.Vrt.Plastik. trois mots (un dans chacune de leurs langues natales) qui signifient Point. Jardin. Plastique.

Ce trio, après un album très remarqué en 2018, vient de sortir Somit, toujours chez Intakt Records le label suisse qui n’a pas froid aux yeux.
Dans ce trio, leur musique se condense, cherche l’essentiel. L’interaction est mise dans les micros tensions qui relient les éléments, un peu comme la transmission synaptique d’un ensemble neuronal. Avec ce trio, ils déploient une approche musicale qu’ils vont ensuite mettre à profit dans les autres projets auxquels ils participent.

Car on les retrouve tous les trois dans l’orchestre étonnant et percussif de Christian Lillinger, Open form for Society. Là Kaja Draksler est au piano droit (comme pour le trio et comme pour plusieurs de ses projets personnels) en compagnie de deux autres pianistes tandis que Petter Eldh tient l’une des deux contrebasses de cet ensemble puissant.

Leur faculté technique, là encore, est mise au service d’une musique très minérale et pointilliste qui ne souffre pas le faux pas. Le batteur fait également partie du quartet incroyable qui a proposé un concert inédit et enregistré par Act Records, le bondissant et extra-terrestre XXXX, avec Émile Parisien au saxophone.

La pianiste, quant à elle, mène de front le trio et son octet, un ensemble international basé à Amsterdam pour lequel elle écrit et qui prépare un troisième répertoire. Elle participe aussi au nouveau projet choral Hearth en compagnie de la fine fleur des soufflantes actuelles, les saxophonistes Ada Rave et Mette Rasmussen et la trompettiste Susana Santos Silva. Une formation qui est née en pleine pandémie et qui n’a pas encore eu l’occasion de conquérir les scènes européennes.

La collaboration entre le batteur et le contrebassiste se poursuit par ailleurs avec le groupe Koma Saxo que Petter Eldh a mis sur pied. Avant Koma Saxo, il y avait le groupe Amok Amor (Amok-Koma…) précédé du Starlight Trio, trois groupes avec Lillinger et Eldh aux commandes rythmiques. Dans le dernier, Koma Saxo, en plus des deux fondateurs, on trouve trois saxophonistes, deux suédois et un finlandais. Ce « mur du son saxophoné » est une gageur sur scène et il faut toute l’énergie de la rythmique pour cadrer, tout en laissant faire, leurs passages de relais mélodico-rythmiques.

Le premier album, très travaillé en post-production est sorti sur le label d’Helsinki We Jazz et ce dernier album, Koma Saxo Live vient de sortir.

Enfin, tel d’Artagnan, on ne peut passer sous silence la présence discrète mais essentiel du saxophoniste suédois et berlinois Otis Sansdjö. Membre de Koma Saxo, il connaît les deux musiciens depuis des années.

Avec Petter Eldh et la chanteuse suisse Lucia Cadotsch, ils forment le trio Speak Low qui vient de sortir un magnifique disque de standards. Et sous son nom, il mène le groupe Y-Otis, dont fait aussi partie Petter Eldh, un groupe qui joue quasiment de l’électro sur scène, avec cette volupté nonchalante qui émane du saxophoniste, aussi bien quand il joue avec énergie.

En résumé, ces trois mousquetaires du jazz et leur d’Artagnan sont complices des récents projets les plus marquants sur la scène européenne :
Punkt.Vrt.Plastik, Koma Saxo, Y-Otis, Speak Low et Hearth.
On notera la combinaison de trois labels aventureux : We Jazz (Finlande), Intakt Records (Suisse) et Clean Feed (Portugal). Il n’y a pas de hasard.