Entretien

Rémi Panossian : cherchez la flamme !

Rencontre avec un pianiste heureux dont le trio vient de fêter ses dix ans et a récemment publié un cinquième album voyageur, « In Odd We Trust ».

Photo : Gérard Boisnel

Rémi Panossian éclate assez souvent de rire en répondant aux questions. Et si le musicien déborde d’énergie, l’homme n’en est pas pour autant déconnecté des réalités d’un monde qu’il a déjà beaucoup parcouru avec ses deux complices Maxime Delporte et Frédéric Petitprez. Deux partenaires en musique qui sont d’abord des amis, et de longue date. La fougue qui traverse le dernier album du trio nous a donné envie de mieux connaître ce pianiste de trente-sept ans.

Rémi Panossian

- Dites-nous qui vous êtes et à partir de quand vous avez su que vous consacreriez votre vie à la musique et au piano.

J’ai commencé le piano à l’âge de sept ans, parce que ma mère avait fait revenir dans notre maison le piano de son enfance sur lequel elle avait un peu balbutié. J’ai donc commencé par le piano « classique », je mets ce mot entre gros guillemets parce que ma prof a eu l’intelligence de me faire jouer très vite des petits ragtimes, des boogies… Elle s’est vite rendu compte que c’était ce qui m’attirait. Par la suite, quand j’avais dix ans, j’ai vu un concert de Michel Petrucciani et à partir de là, j’ai pris des cours de jazz et je n’ai voulu plus faire que ça. Ensuite, je suis passé par le JAM à Montpellier [1]. À 17 ans, j’ai obtenu mon bac et le diplôme du JAM, je suis parti à Toulouse, où j’ai fait le Conservatoire et la fac en jazz. En deux ans, j’avais fini et depuis que j’ai 19 ans, je vis de ça.

- Quelles sont vos influences revendiquées ? Cette question peut aller au-delà du cercle des pianistes, bien sûr…

Comme je viens de le dire, Michel Petrucciani a beaucoup compté pour moi. Mais bien sûr, il y a Keith Jarrett, Brad Mehldau, ainsi que le trio d’Esbjörn Svensson. Beaucoup de rock également, comme Radiohead, le Velvet Underground, les Rolling Stones que j’adore, les groupes de hip hop comme The Roots. Et puis Janis Joplin et plein de trucs des années 60-70. Quant à la musique classique, je suis plutôt « Chopin – Ravel – Debussy ». Ce sont les précurseurs de la musique modale. Sans oublier Satie qui a composé des choses incroyables !

- La formule piano – contrebasse – batterie est sans doute l’une des plus éprouvées dans le monde du jazz. Les références sont prestigieuses (dont celles que vous venez de citer). Comment, lorsqu’on est un jeune musicien, ose-t-on se lancer dans une aventure qui semble a priori risquée ?

J’ai eu la chance de comprendre très vite que ça n’avait aucun intérêt pour moi de monter un trio et de jouer des standards, parce que je savais que jamais je n’atteindrais jamais le niveau de Keith Jarrett ou de Bill Evans, avec toutes les versions qu’ils ont faites, qui sont comme on dit « implacables ». Je ne pouvais pas aller dans ce sens-là. Et comme je compose de la musique depuis que je suis gamin et que mon idée, avec un trio, c’était de jouer ma musique avec ma propre vision des choses, j’ai pensé je pouvais apporter une touche d’originalité par ce biais-là.

Rémi Panossian / NJP 2013 © Jacky Joannès

- Quelle voix (voie) différente pensez-vous avoir trouvée ? On peut supposer qu’il faut penser qu’on a quelque chose de supplémentaire à dire au regard de tout ce qui a déjà été fait.

Ce n’est pas une question simple ! Mais il y a quelque chose dont je suis certain, c’est que j’arrive à composer des mélodies qui peuvent vous rester dans la tête, ce qui est selon moi la base de toute chanson. J’aime bien le beau, les belles choses. Mais il faut aussi être un peu schizophrène pour faire de la musique : toute une part de ce que j’écris est plutôt relié au beau, à la contemplation, au lyrisme, à la mélodie ; l’autre part, elle, se trouve plutôt du côté de l’énergie, du rock impulsif, du groove. C’est ce que je j’adore et c’est aussi ce que nous avons développé à trois. Maxime et Frédéric m’ont aiguillé, ils m’ont apporté beaucoup de choses en matière de composition. Et d’ailleurs nous signons toutes les compositions à trois.

- Le Rémi Panossian Trio, ce sont dix ans, cinq albums et une énergie qui ne faiblit pas. Quel bilan tirez-vous de cette première décennie et du succès que vous avez obtenu, en particulier à l’étranger ?

Ce sont vraiment dix années incroyables, et notamment parce que je les ai vécues avec mes potes qui sont de vrais amis. Nous étions amis avant de monter le trio, ce qui est très important : je connais Frédéric depuis 20 ans, Maxime depuis plus de 15. Et quand on se rend compte de toute la route que nous avons faite ensemble : une quarantaine de pays, des tournées qui ont parfois duré un mois ou plus. Alors il vaut mieux que nous nous entendions bien. C’est ce qui nous a permis de rester soudés car tout n’est pas toujours rose, il y a parfois des choses qui ne fonctionnent pas. C’est comme dans un couple, on vit une histoire pendant dix ans, avec des hauts et des bas. Mais je ne m’imagine pas monter un trio avec d’autres qu’eux. Bien sûr, on verra ce que l’avenir nous réserve, mais ils sont les partenaires parfaits, ils apportent énormément. Nous sommes trois personnalités différentes mais nous nous accordons sur la même envie de faire de la musique, et toujours avec ce côté « fun » : il faut qu’on s’éclate. C’est l’envie de jouer sérieusement mais sans se prendre au sérieux. Vivre une telle expérience en groupe depuis plus de 10 ans, c’est quand même assez rare de nos jours et je trouve ça merveilleux. Nous ne sommes pas près de nous arrêter, car les deux prochaines années sont déjà prévues, avec des projets.

- Si vous deviez présenter In Odd We Trust à quelqu’un qui ne connaît pas votre musique, que lui diriez-vous ?

Je pense avant tout que c’est le disque d’un trio qui compte une dizaine d’années, qui a beaucoup voyagé, qui aime faire de la belle musique et rendre les gens heureux. In Odd We Trust, c’est aussi une invitation à découvrir plein d’univers et des visions différentes de ce que peut être la musique et le jeu ensemble. Je pense qu’on peut avoir le sourire en écoutant ce disque, avec de belles images en tête.

- Est-ce que ce disque, le dernier que vous ayez enregistré, est le meilleur du trio selon vous ? Et de façon générale, êtes-vous satisfait de vos disques lorsqu’ils sont terminés.

Mais oui bien sûr ! (rires) En fait, c’est toujours une angoisse. Quelqu’un m’a dit – je crois que c’est Vincent Mahé [2] – qu’un disque, c’est une photographie. Donc, il faut le prendre comme tel. Évidemment, si on le réécoute deux ou trois ans après et qu’on a joué ses morceaux pendant tout ce temps, on pourrait avoir envie de les réenregistrer, parce qu’on se dit qu’on pourrait faire mieux. Mais au moment de l’enregistrement, on a fait ça le plus sincèrement possible. Et en considérant les choses de cette manière, on peut même ressentir de la tendresse pour les anciens albums, et j’adore ça. Il y a des morceaux qu’on réécoute, qui datent d’il y a une dizaine d’années, et dans lesquels on entend des choses qu’on ne fait plus maintenant parce qu’on a évolué, mais ce n’est pas mieux ou moins bien. Évidemment, on a acquis de la maturité et des automatismes tous les trois, pour vraiment mieux jouer ensemble. Alors oui, selon moi, aujourd’hui, ce disque est le meilleur. Mais le meilleur, ce sera surtout le prochain. Et ça jusqu’à la fin de mes jours !

Rémi Panossian / NJP 2013 © Jacky Joannès

- Pour le précédent disque de RP3, Morning Smile, vous aviez ouvert la porte du trio à d’autres musiciens. Et pour In Odd We Trust, vous revenez à la formule à trois : cette expérience d’élargissement aura-t-elle une suite ?

Tout cela est parti du fait que nous voulions travailler avec d’autres, inviter Nicolas Gardel avec qui nous avions déjà joué en quartet. De plus, Maxime rêvait d’écrire pour un quatuor à cordes avec le trio. Frédéric avait lui aussi d’autres envies, comme travailler avec de l’électronique, écrire un morceau de hip hop. Alors nous nous sommes lancés dans un album concept où nous inviterions tout le monde. Et nous sommes très contents du disque même si, pour ne rien vous cacher, il a un peu brouillé les pistes, ce qui ne nous a pas aidés à tourner parce que selon les formules, on pouvait se retrouver jusqu’à 15 musiciens. Alors pour la scène, nous restons en trio. Mais Morning Smile, c’était comme une petite incartade après trois albums en trio. Nous sommes revenus ensuite à nos premières amours et nous avons même enregistré tout seuls, et dans la même pièce !

- L’une des caractéristiques de votre musique, c’est l’énergie, au-delà de toutes ces compositions qu’on peut qualifier de contemplatives. D’où provient-elle, selon vous ?

Contemplatives, oui, c’est exactement ça. Je suis là, je ferme les yeux quand je joue et pour moi, ce sont des compositions très profondes. J’adore cette dimension de la musique et je pense que ce qui plaît beaucoup au public, c’est que nous ne sommes pas un monolithe. Il y a plein d’ambiances différentes, on peut passer de quelque chose de très enjoué et ensuite prendre cinq minutes pour une balade dans l’espace. Quant à l’énergie – et là je parle pour moi – je suis obligé de jouer à cent pour cent. Sur scène, il m’est arrivé de faire des concerts devant trois personnes et j’ai joué avec la même énergie que devant quinze mille. Dans tous les cas, il faut que j’y aille à fond, même si je suis crevé, si je n’ai dormi que deux heures, c’est quelque chose qui n’est pas conscient. C’est assez cathartique, je libère tout, les tensions, les non-dits. Cela dit, il n’y pas de colère en moi, même si, franchement, quand on voit l’état du monde…

Sur scène, il m’est arrivé de faire des concerts devant trois personnes et j’ai joué avec la même énergie que devant quinze mille.

- À propos de scène et d’énergie, peut-être vous souvenez-vous de Nancy Jazz Pulsations 2013, lorsque le trio avait joué en première partie d’Aldo Romano. Une grande partie du public vous découvrait et vous aviez, comme on dit, « mis le feu à la salle » ?

Ah oui, c’était génial. De mémoire, je crois qu’ils se sont tous levés à la fin, c’était une grosse standing ovation, nous avions halluciné ! Le trio avait à peine trois ans à cette époque. Il faut qu’on revienne pour voir si ça marche toujours ! (rires)

Rémi Panossian

- Comment faites-vous pour transmettre cette énergie du live au disque ? Parce qu’elle est bien présente sur disque. Existe-t-il une méthode pour y parvenir ?

Pour tout vous dire, c’est pour cette raison que nous avons adopté cette configuration que j’évoquais tout à l’heure, ensemble en studio, dans la même salle. Ce qui explique que c’est dans ce disque-là qu’on retrouve le plus cette énergie parce que nous étions vraiment ensemble, nous n’étions pas derrière des cabines ou isolés avec le casque. Par exemple, Frédéric était à un mètre cinquante de moi. Par conséquent, on sent les gens, on voit les impacts, on voit tout. Nous avons enregistré les morceaux d’une traite, parfois nous faisions des filages, ou bien nous enregistrions plusieurs fois le même morceau, mais à chaque fois en entier, avec des conditions dans lesquelles on sent les deux autres musiciens à ses côtés. C’est ce qui explique que ça ait si bien fonctionné.

- Vous voyagez beaucoup, vous voyez beaucoup de choses même si vous n’avez peut-être pas forcément le temps de tout voir… On imagine que vous avez un regard assez aiguisé sur le monde qui nous entoure et ça rejoint la question du message de votre musique.

Le temps, nous essayons de le prendre quand même. Et nous avons vu des choses assez improbables. En Inde, nous avons côtoyé la misère. Au Brésil nous avons discuté avec des gens en restant le soir dans des clubs : nous avons parlé de Bolsonaro, c’est affligeant. Je ne sais pas si on le sait en France, mais c’est quand même son fils qui a tué la sénatrice qu’on a retrouvée morte dans les favelas. Le type s’est fait acquitter par un juge qui est devenu Ministre de la Justice. On est dans House of Cards, là ! Aux yeux et à la barbe de tout le monde. Et ça, ça dirige un des plus gros pays du monde… Et d’un autre côté, nous voyons des choses merveilleuses dans le monde entier, c’est aussi ce qu’on essaie de montrer dans nos clips. Quand il les réalise, Maxime s’attarde sur le beau et les choses incroyables que nous visitons. Il les écrit, il les filme, il les monte, il fait tout ! Nous, nous ne sommes que des exécutants et nous sommes très doués pour ça ! (rires)

- Dans le trio, il y a une part d’humour importante (cf. votre dernier clip ou le choix de certains titres : « Vengeance tardive », « In Odd We Trust »). Pour autant, votre musique – même si elle est assez joyeuse à certains moments – n’est pas légère. Elle peut parfois prendre des teintes nostalgiques, voire romantiques. Est-ce qu’à travers votre musique, vous voulez faire passer un message ?

Pour certaines compositions, il peut arriver que nous mettions plusieurs jours pour trouver un titre, tandis que pour d’autres, l’idée vient naturellement. Si on prend l’exemple du morceau « Seven Hills » : c’est un sept temps mais il est aussi un hommage aux villes de Lisbonne et d’Istanbul, dans lesquelles nous avons beaucoup joué, et qui sont entourées de sept collines. Et puis, il y aussi beaucoup de clins d’œil à notre histoire et à notre parcours. Sur le troisième album, il y avait « Busseola Fusca » : c’est le nom d’un ver qui a réussi à muter pour résister aux insecticides de Monsanto. Voilà, ce sont quelques exemples pour montrer qu’on essaie de faire passer des choses, mais de manière assez discrète. Nous ne sommes pas là pour revendiquer avec des pancartes, et ceux qui veulent comprendre le comprennent tout à fait.

Tant que c’est possible, je continue, parce que je ne compte pas sur les retraites… À mon avis, l’âge pivot, ce sera sur scène.

- Récemment, vous avez publié un album solo (Do) ainsi qu’un autre (The Mirror) en duo avec votre ami le trompettiste Nicolas Gardel. Pouvez-vous nous parler de ces expériences et des raisons pour lesquelles vous vous exprimez dans un autre cadre que celui du trio ?

Pour ce qui est de Do, il faut savoir que j’ai joué pendant douze ans en piano solo dans un club de Toulouse, le Rest’O Jazz, où j’avais mon piano à queue, ce qui m’a permis de développer ce travail. Ensuite, j’ai eu la chance de jouer dans le cadre de Piano aux Jacobins de Toulouse, qui est un des plus grands festivals de piano en France depuis plus de quarante ans. De plus, j’ai fait deux ou trois tournées en Asie en piano solo également, qui ont très bien marché. À force, je me suis dit que je pourrais faire quelque chose de tout cela et enregistrer. Je me suis dit que j’avais 35 ans et que si je devais le faire, c’était le bon moment… Pourtant, c’est compliqué le piano solo, c’est un exercice extrêmement périlleux. Il se trouve même des gens qui m’ont dit : « Si tu fais ça, tu vas te faire tuer ! » Mais il fallait que je le fasse et j’ai enregistré dans ce club où j’avais joué et qui allait bientôt fermer. C’est Nicolas Gardel qui a produit l’album et qui m’a enregistré, il a été une sorte de directeur artistique. Et puisque nous avions travaillé ensemble et que tout s’était très bien passé, aussi parce que Nicolas et moi nous passons beaucoup de soirées ensemble et que nous jouons souvent en duo, on s’est dit la même chose, qu’il fallait bien le graver un disque ! À ce niveau, il faut dire que l’économie du disque devient de plus en plus importante. Pour Do, Yamaha m’avait prêté le piano, le club m’avait prêté la salle et Nicolas en tant que producteur n’était pas payé pour enregistrer l’album. De ce fait, le disque a coûté quasiment zéro, ce n’était donc pas un gouffre financier. Alors nous nous sommes dit que si nous arrivions à faire la même chose, nous pourrions enregistrer ce duo et c’est ce qui s’est passé. Nous avons enregistré chez Maxime Delporte chez qui nous avons rapatrié mon piano et nous avons enregistré tous les deux dans la maison. Nous disposions de quatre jours, nous avons posé les micros. Il y a même certains morceaux qui n’étaient pas prévus, mais nous les avons joués sur le moment. Et ce disque-là a très bien marché aussi. Nous avons déjà eu une quarantaine de dates, dont une sous le chapiteau de Marciac l’été dernier. C’était fou, un succès incroyable, avec tout le monde debout, trois fois.

- Comment le processus de composition s’élabore-t-il chez vous ? C’est partout ? N’importe où ? Vous prenez des notes ? Vous chantez ?

C’est un bordel sans nom ! (rires) Déjà, je suis assez bordélique et je n’ai pas de méthode. Par exemple, pour le dernier morceau que j’ai écrit et que je jouerai en duo pour un prochain album, l’écriture a pris dix minutes dans une salle de travail au Japon, c’est sorti comme ça ! En revanche, il y a des compositions qui me prennent six mois : je sais que j’ai la bonne idée et ensuite je la travaille, j’y reviens, je perds le début, je repars. Et quand j’y pense, j’essaie aussi d’enregistrer avec mon dictaphone sur mon téléphone dès que je peux, pour ne pas oublier. Mais j’ai quand même perdu une dizaine de morceaux comme ça… Souvent je fais les accords, j’essaie de composer, de siffler et de chanter pour garder les mélodies et quand je pense que c’est bien, je joue tout, j’enregistre petit à petit. Parfois, je n’enregistre pas du tout… mais je pars du principe que si je ne m’en souviens plus, c’est que ce n’était pas bon. Ce n’est pas toujours une très bonne idée mais en tous cas, c’est ainsi que ça se passe.

Rémi Panossian / NJP 2013 © Jacky Joannès

- Selon vous, à quoi va ressembler la suite, à court ou moyen terme, pour le trio ou pour vous ? Avez-vous de grandes idées, des rêves auxquels vous aimeriez donner vie ?

Nous avons le projet d’enregistrer un live avec le trio, à Séoul. Nous sommes déjà allés 15 à 20 fois en tournée en Corée du Sud et il nous paraissait important d’y enregistrer notre live qui sera une sorte de « best of » des dix ans. Nous choisirons deux ou trois morceaux de chaque album, ils seront retravaillés pour l’occasion car il y en a que nous n’avons pas joués depuis cinq ou six ans. Nous allons nous installer trois jours dans un super club pour l’enregistrer. C’est prévu pour septembre et le disque devrait sortir début 2021. Par ailleurs, nous aimerions enregistrer un album dans une formule Rhodes, basse électrique et batterie pour essayer de nouvelles compositions et de nouvelles envies. L’idée est venue aussi du fait que parfois, en tournée, on n’a pas forcément de bonnes contrebasses : donc Maxime prend la basse électrique et de ce fait, je demande un Rhodes pour qu’on ait plus de fun et que l’ensemble ait la même énergie. Ensuite, il y aura un autre album en duo avec Nicolas : le premier a tellement bien marché que nous allons nous y remettre et ce sera pour fin 2021. Pour le reste, pour la suite, je veux juste continuer à faire de la musique et jouer ! Tant que la flamme sera là - et a priori elle n’est pas près de s’éteindre… j’adore être sur scène, j’adore voyager. Tant que c’est possible, je continue, parce que je ne compte pas sur les retraites… À mon avis, l’âge pivot, ce sera sur scène. Je vais continuer à jouer jusqu’à en crever ! Et ça ira très bien.

- Récemment, à l’occasion de la sortie de son nouveau disque, Henri Texier nous expliquait la chance qu’il avait connue dans sa vie en musique. Est-ce que vous, de votre côté, vous avez conscience d’avoir une telle chance ?

Ah oui, complètement ! C’est même une chance inouïe. D’autant plus que j’ai commencé ma carrière très tôt et que j’ai eu la chance de rencontrer Yann Martin. C’est lui qui m’a permis de faire mes premiers disques en duo quand j’avais 21 ans. Il m’a suivi et m’a présenté plein de gens, c’est forcément aussi une chance. Et de façon générale, c’est pour moi la chance incroyable de vivre de ce métier : je passe ma vie à découvrir des pays, à monter sur scène et donner du bonheur aux gens, c’est ce qui me nourrit, dans les deux sens. Ça nourrit mon âme et ça remplit mon frigo !

- Après toutes ces années passées en musique, est-ce qu’il vous arrive d’avoir des regrets ?

Je ne parlerais pas de regrets, mais plutôt d’envies que j’ai encore. J’ai envie de jouer sur certaines scènes et j’ai encore le temps pour ça. Je n’aime pas trop l’idée de regret : nous avons fait les choix qu’il nous a fallu faire à certains moments pour différentes raisons. En fait, on se construit aussi à partir des ratés ou de ce qui marche un peu moins bien, donc il n’y a pas de raison d’avoir de regrets, selon moi. Il vaut mieux avancer…

Nicolas Gardel, Rémi Panossian, le 02 août 2019.

- Quelle serait la composition du trio qu’on pourrait présenter comme carte de visite, et pas forcément du dernier album ?

Je pense au premier album… Avant de faire appel à Frédéric et Maxime, j’ai écrit huit morceaux tout seul et il y en deux que nous avons écrits et peaufinés ensemble. Je choisirais celui qui a donné le titre au disque, Add Fiction. Parce que c’est le premier que nous avons écrit ensemble, assez rapidement, avec des idées qui fusaient de partout et que nous avons réussi à concentrer. Je pense que c’est vraiment avec ce morceau-là, quand nous avons vu l’impact qu’il avait sur les gens en live ou en radio, que nous nous sommes dits : « OK, on tient un truc qu’il ne faut pas lâcher ! » Il a vraiment été le ciment du début de notre histoire, ce qui fait que tout cela perdure avec autant d’enthousiasme encore maintenant.

- Avez-vous le temps d’écouter de la musique, ce qui se fait en ce moment, des choses qui vous ont marqué et qui vous nourrissent ? Et pas forcément en jazz…

Oui bien sûr. En fait, il y a de la bonne musique partout… J’ai même écouté le dernier Kanye West, il y a des choses superbes dedans. Alors oui, je me tiens au courant de ce qui se passe, mais pour ne rien vous cacher, j’écoute beaucoup mes anciens disques, ceux des années 60-70, tous ces groupes dont je parlais tout à l’heure. Sinon, je suis souvent branché sur FIP, qui passe pas mal de nouveautés. Je m’intéresse aux sorties des copains en général, j’ai la chance qu’ils soient des copains parce qu’ils sont incroyables, comme Tigran Hamasyan. Il y a aussi Vulfpeck, que j’adore, c’est du funk, c’est un groupe qui a rempli le Madison Square Garden. Cela dit, je sais aussi que je dois écouter certaines choses et qu’il faut que je m’y mette ! Par exemple, j’ai très envie d’écouter l’album de Grégory Privat, Soley, dans lequel il a mélangé voix et électronique.

par Denis Desassis // Publié le 15 mars 2020

[1École régionale de musique, jazz & musiques actuelles.

[2Vincent Mahé est un dessinateur parisien qui travaille pour des journaux et magazines allant du Wall Street Journal à Télérama.