Chronique

Rémi Panossian Trio

In Odd We Trust

Rémi Panossian (p), Frédéric Petitprez (dms), Maxime Delporte (b).

Dix ans déjà pour le trio RP3 ! Le temps a passé très vite, selon un tempo imprimé au rythme d’une frénésie de concerts – un grand nombre se situant hors de nos frontières avec une prédilection pour l’Asie – et des disques tombant à intervalles réguliers à la manière d’une pluie saisonnière (et bienfaisante). Ce furent Add Fiction (2010), BBang (2013), RP3 (2015) et Morning Smile (2017). On ne peut pas dire que Rémi Panossian, Maxime Delporte et Frédéric Petitprez se sont endormis sur leurs lauriers, en dépit d’une nomination au titre de Chevalier des Arts et des Lettres pour le pianiste en 2019. Ce dernier a de plus œuvré en solo avec Do en 2018, puis en duo avec son ami trompettiste Nicolas Gardel pour l’album The Mirror en 2019. Dont acte. RP3, c’est un style et une attitude qui n’appartiennent qu’à lui, c’est la joie d’être en musique, en toute complicité et avec ce pouvoir de soulever un public, même lorsqu’il ne s’y attend pas. Souvenons-nous par exemple de leur concert à NJP en 2013, en première partie d’Aldo Romano. Le batteur n’avait pas été le moins surpris par cette déferlante heureuse.

Et voici nos trois globe-trotters qui reviennent avec In Odd We Trust (on appréciera le jeu de mots), deux ans après leur disque interprété par une formation augmentée d’une escouade d’invités (dont un quatuor à cordes). Mais cette fois, il s’agit d’aller à l’essentiel avec le retour à la formule concentrée, celle qui leur convient le mieux, il faut bien l’admettre : piano, contrebasse et batterie. On a coutume de dire qu’elle est l’une des plus éprouvées dans la jazzosphère et qu’il est bien difficile de se faire une place dans ce petit monde très concurrentiel. Soit. Et pour ce qui concerne Rémi Panossian, il est de bon ton aussi de glisser des références au trio de Brad Mehldau ou à The Bad Plus, par exemple. Sans doute, au-delà des talents respectifs, en raison de leurs œillades appuyées à un répertoire aux intonations volontiers « pop ». Mais RP3, qui ne niera certainement pas ces influences parmi d’autres, continue d’avancer, un grand sourire aux lèvres, sur la route enchantée de ses mélodies accrocheuses comme jamais. On ne peut que souligner ce talent si particulier qui consiste à vous mettre quelques notes en tête pour un bon bout de temps. Difficile de s’en défaire et d’ailleurs pourquoi le souhaiterait-on quand c’est si bon ? Et si celles-ci sont souvent propulsées par une énergie qu’on aurait envie de qualifier de juvénile malgré les années passées et l’expérience acquise (« Seven Hills », « Vengeance tardive » pour ouvrir le bal en sont deux manifestations parfaites), les ballades frappent tout aussi juste, avec ce qu’il faut de tendresse sans verser pour autant dans la mièvrerie (les très beaux « After Van Gogh » ou « Bye Bye Tristesse », par exemple). RP3, c’est l’alliance du groove et de la douceur avec un savoir-faire qui en impose…

Panossian et ses acolytes savent jouir de la vie, jusque dans ses moments les plus contemplatifs. Mais la nature épicurienne du trio est compatible avec une croyance affichée en l’étrange. Celui-ci réside moins dans la forme de sa musique – nette et d’une redoutable précision, et cette fois enregistrée dans les conditions du live en studio – que dans son imaginaire débridé, voyageur et ludique, pas si éloigné d’un univers de bande dessinée. Ces vagabonds du jazz savent s’y prendre pour vous emmener avec eux dans leur monde bariolé. Laissez-vous faire !