Portrait

Romain Dugelay, musicien tout terrain

Rencontre avec le musicien lyonnais Romain Dugelay, qui fait de la notion de collectif le cœur de sa musique.


Romain Dugelay est saxophoniste (alto et baryton), compositeur, improvisateur, directeur artistique de la Compagnie 4000, membre des groupes Kouma, Pixvae, Polymorphie, An’pagay ou Chimères. Il vient tout juste de fêter ses 40 ans. L’occasion pour nous d’un portrait en forme de bilan d’étape.

Romain Dugelay est né à Senlis dans l’Oise sous François Mitterrand. Ses parents déménagent peu de temps après dans le 13ème arrondissement de la capitale. C’est là qu’il commence, à l’âge de 8 ans, l’apprentissage du saxophone avec le saxophoniste Stéphane Payen : « C’était un ami de mon plus grand frère Samuel (NDLR : de dix ans son aîné). Ça n’a duré qu’un an car j’ai déménagé l’année suivante dans le Beaujolais, mais nous nous sommes ensuite revus à différentes étapes de mon parcours. Avec le recul, je réalise qu’il a été super influent pour moi, il m’a donné tant de bases structurantes. J’ai encore les cassettes audio qu’il m’avait enregistrées pour que je fasse des relevés. C’est lui qui m’a fait découvrir Aka Moon et Steve Coleman, qui m’a emmené pour la première fois dans un club de jazz, qui m’a fait découvrir, décortiquer et bosser sa musique et tant d’autres trucs. »

À l’été 1992, la famille Dugelay déménage à Belleville sur Saône (à 45 km au nord de Lyon). Romain prend des cours avec David Sauzay dans l’école de musique de la ville. Puis direction le conservatoire de Mâcon. En parallèle, le saxophoniste fait ses premières armes sur scène : « Mes vrais débuts de musique en dehors de ma chambre se passent à Mâcon avec les groupes de lycée et post lycée, dans des esthétiques assez variées avec finalement très peu de jazz, mais avec tout de suite pas mal de scènes, plus ou moins grosses. Je crois que ça m’a ensuite toujours collé aux basques, cette envie de monter sur scène. »

Romain Dugelay © Bertrand Gaudillère

Il entre ensuite à l’ENM (École Nationale de Musique, Danse et Art Dramatique) de Villeurbanne, puis participe à la création du collectif de musiciens lyonnais Le Grolektif en 2004 : « Le Grolektif est né d’un besoin vital de jouer devant des gens le plus régulièrement possible. On a donc trouvé des lieux à Lyon, et on jouait dès que possible, toutes les semaines ou toutes les deux semaines. On montait des répertoires pour l’occasion, des hommages, des répertoires de compos ou bien on invitait des musiciens dont on admirait le travail pour bosser l’après-midi avec nous et jouer le soir même. Il y avait une énergie folle entre nous tous, une envie d’apprendre, de jouer, de célébrer, de fêter, d’échanger. Je crois que c’était assez communicatif et tout un cercle de gens, musiciens ou non gravitaient autour de cette boule d’énergie. C’est avec le Grolektif que j’ai aussi commencé à prendre goût à l’écriture et à l’arrangement. On avait à disposition 40 musicien·ne·s. prêt·e·s à tout jouer et à tout tester, qu’on amène des relevés de Fela Kuti, de la musique de Stéphane que j’évoquais plus haut ou nos premières compos toutes jeunes et toutes fébriles. »

Quelques années plus tard, en 2007, il participe avec le collectif à la création du Périscope à Lyon (dont son frère Pierre Dugelay est aujourd’hui le directeur) : « On a pu continuer à y tester plein de trucs sur scène et dans les caves de répétition ; je faisais par exemple de la musique improvisée avec Yoann Durant et Rodolphe Loubatière, de la funk avec Sfonx, des bals populaires avec le Bal du Gro, de la musique en grand ensemble avec Polymorphie ou le big band Bigre !, groupes pour lesquels je composais également, et plein d’autres trucs divers et variés. J’ai aujourd’hui une relation hyper forte avec Le Périscope, tant affective que professionnelle. Je suis un utilisateur premium de tous les locaux, de la cantine aux bureaux, en passant par les salles de répétitions. Une sorte de deuxième maison ».

En 2009, par l’intermédiaire de Stéphane Payen (encore lui), il rencontre le guitariste Damien Cluzel avec qui il monte le trio Kouma, avec le batteur Seb Brun au tout début, remplacé un an plus tard par Léo Dumont. Ces deux-là sont devenus au fil des ans le noyau dur de la plupart des projets que mène le saxophoniste depuis plus de dix ans : « Je pense que dès le début j’avais comme fantasme le fonctionnement du trio Aka Moon dont j’admire le travail, le cheminement artistique et la place qu’y occupe Fabrizio Cassol, en ce sens que la forme trio serait une sorte de noyau au sein duquel je pourrais éprouver mon écriture et faire exister plein de projets satellites. Et c’est ce qui s’est passé. On a créé notre mini labo dans lequel on a pu inviter plein de gens. Ça a donné les 3 dernières créations de Polymorphie, Pixvae, An’pagay, Kaixu, etc. Et sans doute pleins d’autres à venir ».

Romain Dugelay © Bertrand Gaudillère

L’aventure Grolektif prend fin en 2018 : « Selon moi, la fin est arrivée au moment où l’aspect production a pris le dessus sur l’aspect collectif. On a voté la dissolution de l’association en 2018 et depuis, chacun fait son bonhomme de chemin. Je reste hyper fier de ce qu’on a réussi à construire tous ensemble ».

Romain Dugelay rebondit alors en créant la Compagnie 4000 dont il est aujourd’hui le directeur artistique : « J’ai monté cette structure à la suite de l’arrêt du Grolektif. Après quatorze ans de fonctionnement collectif, j’avais envie de passer à autre chose, à savoir une structure de production de créations artistiques, de disques et de concerts au sein de laquelle je serais seul décideur. J’ai donc commencé à bosser avec les projets dans lesquels je composais, à savoir Kouma, Polymorphie et Pixvae, et puis j’ai élargi à de nouveau projets personnels, et à un petit cercle de projets de musiciens dont je suis proche (Damien Cluzel, Marine Pellegrini et Luc Moindranzé) ».

Aujourd’hui, Romain Dugelay multiplie les projets et semble ne se fixer aucune limite, sinon celles de ses envies : « Je procède avec la même démarche artistique dans chacun de mes projets. Ils se construisent certes avec des musiciens, des singularités et des instrumentations différentes, et donnent nécessairement des résultats sonores différents, ce qui les classe dans des champs esthétiques pluriels. Mais que ce soit avec Pixvae, où je travaille sur la musique traditionnelle de la côte Pacifique Sud colombienne, An’Pagay où je compose et j’arrange à partir de compositions en créole réunionnais imprégnées de maloya, Polymorphie où je construits des pièces musicales sur un montage de poèmes, Boredoms & Heartstrings où j’arrange des compositions « pop »pour un quatuor à cordes, ou dernièrement Chimères où je compose la bande-son d’un bestiaire imaginaire, mon cheminement reste identique. Je tente de construire une nouvelle proposition artistique à partir d’un cadre artistique agissant, mais qui reste toujours en résonance avec mes propres préoccupations artistiques ».