Chronique

Rosaly / Warelis / Dikeman /Lumley

Sunday at De Ruimte

Marta Warelis (p), John Dikeman (ts), Aaron Lumley (b), Frank Rosaly (dms)

Label / Distribution : Doek Raw

Parmi les musiciens américains installés dans cette belle ville d’Amsterdam, qui est décidément un carrefour mondial des musiques créatives, Frank Rosaly est sans doute l’un des plus renommés. On se souvient du batteur dans les différents projets de Christoph Erb, mais aussi aux côtés de Jeb Bishop et Jason Roebke. Il n’est pas le seul Américain a avoir succombé aux charmes bataves, puisqu’on retrouve dans ce Sunday at The Ruimte, enregistré en août 2020 , le saxophoniste John Dikeman, paroxystique soufflant proche de Klaus Kugel, et Aaron Lumley, jeune contrebassiste canadien. C’est lui qui joue d’un archet fureteur et joliment dissonant dans le magnifique « Masquerade Charade », long morceau où son entente avec la batterie de Rosaly, économe de mouvements et de gestes, fait merveille. On pourrait penser, dans une atmosphère très tendue et abstraite, que le saxophone de Dikeman pourrait exposer à tout moment ; il n’en est rien : même si le point de rupture affleure, les caresses des cymbales, comme les dérivations imprévisibles des pizzicati, maintiennent le quartet sous le point de fusion.

Il n’en sont pas les seuls responsables, car dans ce morceau tout comme dans un « Lake Perfidy » plus construit, Marta Warelis est un sacré régulateur. Les trois Américains peuvent bien commencer la plupart des morceaux en trio, la jeune pianiste polonaise arrive toujours pour malaxer la masse offerte par ses compagnons. Cette scène amstellodamoise accueille la musicienne avec le plus grand des égards ; quant à elle, son piano ne réclame pas le devant de la scène : c’est le liant et le comburant d’un orchestre où Dikeman se range presque inconsciemment dans un idiome coltranien que la contrebasse de Lumley exploite avec rudesse. On avait eu l’occasion de découvrir Warelis dans Turquoise Dream avec Marcelo Dos Reis et Zingaro. Dans une facette plus explosive et tout aussi abstraite, où son piano rivalise souvent avec le métal effleuré de la batterie, elle s’affirme comme une musicienne à suivre de toute urgence, d’autant qu’on la sait proche, avec son orchestre Hupata !, du collectif féministe et transatlantique de Camila Nebbia.

Et puis il y a l’enfant. C’est le cinquième intervenant de ce dimanche hollandais. On est parfois agacé lorsque le babil d’un jeune bébé (a-t-il un an ?) vient troubler la concentration de l’écoute profonde et que les parents se dévouent promptement pour l’emmener ailleurs, troublant le calme du chaos en train de se tramer. Ici, le gamin reste. Il rigole, il joue avec les musiciens, à moins que ce ne soit le contraire. Dans « Masquerade Charade », ils l’encerclent, comme pour le bercer d’une comptine contondante dans les éclats de Dikeman ; ce qui est formidable ici, dans ce disque capté dans le cadre du Doek Festival, c’est qu’on a l’impression que le bambin chante pour le groupe. Un petit moment suspendu. Un charme supplémentaire.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 novembre 2021
P.-S. :