Roy Nathanson’s Sotto Voce

Aux premières écoutes, Complicated Day fait un drôle d’effet. Un disque de Roy Nathanson composé de chansons aux structures très classiques, dont un certain nombre de reprises célèbres (« Do Your Thing » d’Isaac Hayes, « Slow Boat to China » de Frank Loesser, « I Can See Clearly Now » de Johnny Nash) ? L’homme nous avait habitué à plus de folie et à marcher hors des sentiers battus. C’est que Complicated Day est trompeur, en vérité. Le coup de folie de Nathanson est précisément d’avoir voulu un disque de chansons, plutôt que de creuser davantage la veine qu’on lui connaît, entre hard bop d’aujourd’hui et free. Et d’une certaine façon, jamais Sotto Voce, le groupe, n’a été aussi libre et insolent que dans cet album. Jamais, non plus, il n’a aussi bien porté son nom, puisqu’on y entend à la fois l’influence de la pratique de poète de Nathanson, mais à demi-voix, et son souci de mêler textures instrumentales et vocales. La participation de Napoleon Maddox en tant que beatboxer tout au long du disque est à cet égard cruciale : il remplace en clair-obscur la batterie – dont l’absence tire l’album vers une sorte de musique de chambre moderne – mais se joint également aux chœurs souvent somptueux, comme sur « Complicated Day ».

Ailleurs, le groupe retrouve d’anciens réflexes (Curtis Fowlkes, compagnon de route de longue date au trombone, est aussi de la partie), et n’est pas moins convaincant : dans l’ironique « No Storytelling », pas de chanson, mais des voix qui scattent et perturbent le jeu instrumental de bruits parasites… avant de reprendre un récit en spoken word ! Le titre donne ainsi le programme du disque, qui joue de tous les faux-semblants possibles et s’aventure là où on ne l’attend pas. Sotto Voce ne s’interdit aucun registre, du geste free primesautier (« Simon ») à la reprise pop (« I Can See Clearly Now »), en passant par la soul la plus élégante (« Do Your Thing »). Complicated Day est un bel album, joyeux et joyeusement recommandé.