Chronique

Roy Nathanson

Subway Moon

Label / Distribution : Buddy s Knife Jazz Edition

Faisant suite à Who Owns Music ? de William Parker et Signs Along the Road – Poems de Henry Grimes, Subway Moon rassemble en un petit volume les poèmes de Roy Nathanson. On n’est pas tout à fait en terrain inconnu : ces textes figurent sur Sotto Voce et Subway Moon, excellents disques du même Nathanson. Mais leur publication par Buddy’s Knife, recommandable maison d’édition sise à Cologne (Allemagne), est l’occasion d’en prendre connaissance par le regard et non plus seulement par l’ouïe.

Un avant-propos du poète et essayiste américain Jeff Friedman replace dans une perspective très mallarméenne les enjeux de la poésie de Roy Nathanson – silence, syncopes de la voix, rythme et souffle alliés dans l’épure d’un texte aussi graphique que sonore. Les poèmes eux-mêmes ont tous pour cadre Brooklyn et le réseau du métro new-yorkais, en souterrain ou au grand jour. Ils jouent la carte d’un minimalisme qui réduit le rythme à une quasi-abstraction, passant sans crier gare d’une langue à l’autre, jouant en douceur de ruptures profondes (« Did I take it ?/Palm that Cake/après le gig ? » dans « 1500 Swiss Francs »). Comme la musique de Roy Nathanson, ils sont écrits autant qu’improvisés : nés spontanément d’une circonstance, ils sont repris et polis longuement, pour ne conserver que la quintessence des scènes auxquelles ils renvoient.

Une femme à la silhouette paresseuse (« Lazy Shaped ») croisée dans la rue, rappelle telle passante baudelairienne (« Lay Z Shaped/Languorous », dans « Vacation »). L’auteur rencontre un homme qui lui semble être son double et qui se met à chanter « Sometimes I Feel Like a Motherless Child ». Parfois plus intimes, les textes évoquent le frère perdu trop tôt, les relations avec la mère ou la maladie d’Alzheimer du père dans un ultime long chapitre en prose qui ouvre toutes grandes les vannes émotionnelles (« Father’s Day – Recollection 1997 »). Toutes ces anecdotes ou données biographiques sont transcendées par un goût de la langue qui se déploie dans les traits pince-sans-rire de l’humour ashkénaze (« When all that ecumenical feces finally mixed / in the holy bowels of Brooklyn. » dans « My cousin-in-law did all the toilets… ») ou des calembours qui trahissent la dimension faussement sérieuse et solennelle de cette poésie : « My son’s fastball blazes its shine / down this muddy mountain / Hawks circle behind its zig / cackling through fog / that zags and aches the back. » dans « Baseball World » ou encore « Bushavellian bureaucrats and TV / That’s hard to see / from a flatbush window. » dans « New Orleans, New Orleans », qui évoque l’ouragan Katrina.

Cette publication soignée [1], qui aurait mérité une maquette plus sobre, permet de découvrir en VO un travail d’écriture singulier, réservé pour le moment aux lecteurs de revues américaines de poésie. C’est aussi l’occasion, comme pour les deux précédentes publications de Buddy’s Knife, de découvrir la pensée d’un musicien important, qui culmine parfois dans des traits de toute beauté : « Sound has a memory, even more than language. It’s king – it transcends history. » Déclaration d’amour à la musique qui résonnera longtemps chez l’amateur de jazz et de poésie.

par Mathias Kusnierz // Publié le 8 janvier 2010

[1Cf. les photos de Peter Gannushkin, Marcel Meier et Charna Meyers qui scandent le recueil.