Chronique

Samy Thiébault

Symphonic Tales

Samy Thiébault (ts, comp), Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (des), Mossin Kawa (tabla) + Orchestre Symphonique de Bretagne (dir. Aurélien Azan Zielinsky).

Label / Distribution : Gaya Music / Socadisc

Ce n’est jamais sans une certaine réticence qu’on aborde un disque de jazz (ou même de rock) avec orchestration symphonique. Trop souvent, la fusion n’opère pas, il ne reste plus alors qu’à faire le constat d’une juxtaposition, pour ne pas dire une confrontation, qui contrarie l’addition des forces en présence. Le jazz est intrinsèquement une musique de l’interaction et de la réactivité, peu compatible a priori avec le travail d’une masse orchestrale dont les mouvements n’ont pas toujours la même vivacité. Samy Thiébault le sait bien, lui qui a grandi avec la musique classique et n’a jamais osé franchir le pas, partant de l’idée que pour se lancer dans ce grand bain, il lui fallait trouver la clé qui ouvrirait la porte de ce qui, aujourd’hui, porte le nom de Symphonic Tales. C’est sans nul doute sa rencontre avec le joueur de tabla Mossin Kawa, originaire du Rajasthan, qui lui a permis de poursuivre un chemin artistique sur lequel il avance jour après jour, dans un processus d’élévation personnelle et de déconstruction de ce qu’il a réussi à apprendre. Influence des rāgas du nord de l’Inde, musique française impressionniste (Fauré, Ravel Debussy), passion pour la spiritualité heureuse de John Coltrane. Autant de phares dans le grand océan de la modalité qui ont conduit le saxophoniste à oser.

Samy Thiébault retrouve son quartet de cœur après l’aventure Caribbean Stories (qui connaîtra bientôt un deuxième épisode) : Adrien Chicot (piano), Sylvain Romano (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie) ont répondu présent, de même que Mossin Kawa au tabla. Et c’est l’Orchestre Symphonique de Bretagne, sous la direction d’Aurélien Azan Zielinsky, qui joue le rôle du sixième élément. Autant le dire sans détour, la magie opère et de très belle façon : Philippe Teissier Du Cros est passé par là, lui qui imaginait enregistrer d’abord l’orchestre seul avant de réaliser en trois jours seulement le petit miracle consistant en une captation live de l’ensemble des musiciens, dans des conditions matérielles qui n’étaient pas forcément idéales. Un vrai moment de jazz, finalement ! Arrangements luxuriants (dont deux signés Vincent Artaud), une puissance collective jamais prise en défaut de souplesse et de lyrisme : Symphonic Tales, à l’instar du jeu de Samy Thiébault qui n’a jamais été aussi habité et jubilatoire, est un disque de l’exultation, dans une fusion de l’âme et du corps. Ce processus est autant musical qu’humain, ce que le saxophoniste explique longuement dans l’entretien qu’il nous a récemment accordé.

Symphonic Tales est un disque de l’instant qui passe, ce moment unique qu’il s’agit d’attraper au vol pour le vivre pleinement. La densité de sa partition est renforcée par un format assez court et bienvenu (un peu plus de 35 minutes pour sept compositions) qui laisse une place juste suffisante aux interventions solistes, toutes frappées du sceau de la concision, au profit du collectif. « Parce qu’on ne fait jamais de la musique pour soi. Je fais partie des artistes qui ne pensent pas la musique uniquement comme une expression personnelle, mais comme un processus d’union ou de fusion ». On n’ira pas par quatre chemins : cette nouvelle avancée de Samy Thiébault est passionnante de bout en bout. On sait dès à présent que la suite sera plus belle encore.