Chronique

Sarah Bernstein

Veer Quartet

Sarah Bernstein (vln), Sana Nagano (vln), Leonor Falcon (vln alto), Nick Jozwiak (cello)

Label / Distribution : New Focus Recordings

Native de San Francisco mais basée à New-York, la violoniste et compositrice Sarah Bernstein évolue sur la scène musicale alternative américaine depuis une quinzaine d’années. Savoir qu’elle a croisé les chemins de Kris Davis, Jessica Pavone, Ches Smith, Tomeka Reid et Anthony Braxton (elle joue dans les opéras Trillium E et J), permet d’entrevoir un tantinet à quoi peut ressembler son univers sonore.
Coutumière des expériences noise, jazz, électro-acoustiques, pop ou improvisées, c’est tardivement et presque par hasard (lors d’une performance) qu’elle s’intéresse à la mythique formation du quatuor à cordes. Enthousiasmée par les possibles qu’elle pressent dans cet orchestre, elle n’entend cependant pas faire table rase de ses amours éclectiques. Elle crée en 2018 le Veer Quartet (en anglais, to veer se traduit par virer) en ayant comme ligne artistique de pouvoir utiliser librement, successivement ou simultanément toutes sortes de langages, qu’ils soient écrits ou improvisés. Dans le pupitre de violons, aux côtés de Sarah Bernstein, on remarquera la présence de Sana Nagano dont Alain Drouot avait fait le portrait dans nos pages.

L’album que voici, enregistré en 2022, est le premier du Veer quartet. Il porte donc logiquement son nom (on n’a pas le droit d’écrire le mot « éponyme » à Citizen Jazz, sinon on se fait moquer [1]).
Le premier morceau, « frames n°1 », est particulièrement représentatif de l’ensemble du disque. Sur la base d’un leitmotiv mélodique de sept notes utilisé comme charnière, il passe d’un univers à un autre, d’une écriture sophistiquée et classieuse à des improvisations caractérisées (l’occasion de nous présenter tous les protagonistes) soutenues par des accompagnements motiviques.
La compositrice se distingue particulièrement dans deux moments forts :la partition calme et exaltante de « Clay Myth » et le mariage des styles de « Hidden », où l’on imagine Philip Glass et Arnold Schönberg pédalant de concert sur le même tandem.
Si l’écriture est naturellement homogène parce qu’issue de la seule plume de Bernstein, chaque membre du quatuor veille à la cohérence du discours improvisé global tout en préservant son individualité (la grâce de Nick Jozwiak dans l’évocation de Paul Klee sur « Clay Myth », l’équilibrisme onirique de Leonor Falcon sur « Nightmorning »).
Avec son atmosphère élégante et envoûtante, ce disque nous montre qu’il existe des mariages heureux entre la musique improvisée et un format d’orchestre traditionnellement dévolu à la musique classique. Sans renier ni dévoyer l’héritage des couleurs du quatuor à cordes, Sarah Bernstein le fait voguer un peu plus loin et l’ancre dans les musiques d’aujourd’hui.

par Hélène Gant // Publié le 19 février 2023
P.-S. :

[1Par la relectrice, qui précise donc au passage que « éponyme » signifie « celui qui donne son nom à… » et que la plupart du temps, c’est l’ensemble qui est éponyme et non l’album. Et toc. NdlR.