Portrait

Sana Nagano : briseuse d’égos

Une violoniste japonaise établie à New-York lutte contre l’égocentrisme.


Sana Nagano © DR

L’enfance au Japon de Sana Nagano ressemble à celle de bien des petites nippones de sa génération. Elle prend des leçons de violon avec l’espoir de devenir un jour musicienne classique. Rien alors ne semble la prédestiner au jazz même si, à la maison, son père passe parfois des disques de jazz-rock – ceux de Miles Davis ou de Weather Report en particulier.

Puis vient l’opportunité de partir étudier aux États-Unis. Au lycée dans l’Oregon puis à l’université à Memphis, elle approfondit son apprentissage de la musique classique. Son destin bascule lorsqu’elle décide de partir pour Boston et de s’inscrire au Berklee College of Music. « C’est là que je découvre Ornette Coleman et le free jazz, dit-elle. Cela dit, la pédagogie est similaire à celle d’un conservatoire classique. J’ai surtout travaillé sur mon phrasé et les rythmes. »

Son diplôme en poche, elle s’installe à New York. Elle continue de prendre des cours. Ses professeurs s’appellent Antonio Hart, le saxophoniste, ou David Berkman, le pianiste, deux musiciens plus ancrés dans la tradition bebop. « Avec Antonio Hart, il y a eu quelques frictions et mon côté rebelle n’a rien arrangé, avoue-t-elle. Mais grâce à lui, j’ai beaucoup appris sur l’histoire de la musique afro-américaine, le langage du blues – l’âme de la musique plutôt que ses aspects techniques. »

Nagano fait en parallèle des rencontres déterminantes avec le pianiste/vibraphoniste Karl Berger et son Creative Music Studio ainsi que le percussionniste Adam Rudolph. En se frottant à eux, elle perfectionne son approche de l’improvisation. Aujourd’hui, elle évolue sur la scène new-yorkaise et continue d’élargir ses horizons avec notamment des plongées dans le bluegrass. Ses projets personnels incluent un groupe de math-rock baptisé Atomic Pidgeons, un trio d’improvisation pure qui a un album en préparation et Smashing Humans dont le premier enregistrement est sorti en mars chez 577 Records.

Smashing Humans au NuBlu © DR - avec l’autorisation de Sana Nagano

Smashing Humans est un quintet multigénérationnel dont les membres proviennent d’horizons différents même si la plupart ont gravité à un moment ou un autre autour de Berger ou de Rudolph. Le contrebassiste Ken Filiano, le saxophoniste Peter Apfelbaum, le guitariste Keisuke Matsuno et le batteur Joe Hertenstein forment un ensemble bigarré. Le talent de la violoniste est d’obtenir le meilleur de ses musiciens et de proposer un ensemble plein de cohésion. « Il a fallu du temps pour que le groupe prenne forme et trouve sa voie, reconnaît-elle. Mon idée est de mélanger des éléments apparemment incompatibles et de voir ce qui se passe. » Ainsi ses compositions sont souvent dichotomiques avec des passages qui déménagent en canalisant une énergie venue du rock et d’autres pleins d’atmosphère qui permettent aux musiciens de faire des propositions.

Selon Nagano, le nom du groupe signifie vraiment briser les egos. Et il est incontestable que le succès de ce premier opus repose largement sur la générosité des musiciens qui se mettent entièrement au service de la musique et des idées de la violoniste.