Sur la platine

Susana Santos Silva, urbi et orbi

Pas moins de 6 disques avec la trompettiste sont sortis ces derniers temps.


© Christophe Charpenel

La trompettiste portugaise, résidente suédoise, participe à de très nombreux projets artistiques, dont quelques-uns donnent lieu à des parutions discographiques cette année. Le nombre de disques où figure la trompettiste est impressionnant et marque toute la qualité de la musicienne, demandée partout, par tou.te.s et dans tous les registres.
Petit tour d’horizon des dernières sorties avec Susana Santos Silva à la trompette.

Khimaira
Child of Illusion
Relative Pitch Records

Le trio Child of Illusion regroupe le saxophoniste américain Chris Pitsiokos et le contrebassiste suédois Torbjörn Zetterberg. Ils ont enregistré à six mois d’intervalle deux concerts improvisés, en une seule plage. Le premier de 2017 était déjà sorti et cette année, c’est Khimaira (enregistré en 2018) qui est publié. On sent immédiatement la complicité qui lie les trois artistes pour une musique faite aussi bien de galopades enthousiastes que de chuchotements secrets. Le sax alto de Pitsiokos est tranchant face à la rondeur de la contrebasse et la trompette passe de l’un à l’autre, en son ou en bruit.


Bagra
Biliana Voutchkova / Susana Santos Silva
Relative Pitch Records

Ce duo avec la violoniste bulgare Biliana Voutchkova est composé de deux longues plages qui portent des prénoms de femmes. Les deux musiciennes, outre le violon et la trompette, manipulent aussi des objets, un piano et la voix. La violoniste, résidente de Berlin, est une référence en matière d’improvisation, aussi la rencontre avec une autre pointure du genre est un apogée. Il faut dire que le violon et la trompette se prêtent bien aux expérimentations sonores.


Ritual para acercarse
Santos Silva, Nebbia, Alonso, Bergman
Ramble Records

Un quartet étonnant de musiciennes fantastiques basées en Suède. Camila Nebbia, la saxophoniste argentine, la pianiste espagnole Hara Alonso et la contrebassiste suédoise Elsa Bergman apportent chacune une couleur spécifique à cette musique tout en restant dans le même camaïeu. Le rituel d’approche, comme l’album le suggère, est un rituel diffus et sous-jacent. Les musiciennes n’attaquent pas de front mais laissent plutôt la tension monter au gré des propositions. Enregistré sur scène en 2021, c’est typiquement le témoignage d’une entente réussie, d’une collaboration saine et équilibrée entre artistes. Le fameux vibrato du diable de la trompettiste est ici mis en avant de façon régulière pour constamment secouer le propos.


Passons maintenant aux trois derniers disques qui sont le fruit de plus longues collaborations. Le groupe Here’s To Us, l’orchestre de Mats Gustafsson et le duo avec la pianiste Kaja Draksler.

Kaukasus
Here’s To Us
HoobRecords

Here’s to Us est un quartet suédois, emmené par le contrebassiste Josef Kallerdahl (également responsable du label Hoob Records) avec la saxophoniste ténor Lisen Rylander Löve et le clarinettiste Nils Berg. La musique aérienne des trois soufflants pivote autour de la contrebasse dans un format de chambre. Le disque est une relecture des polyphonies vocales géorgiennes, parmi les plus fascinantes au monde. Le travail musical est ici très précis, très léché car il ne souffre pas d’approximation. Pour autant, les musicien.ne.s ont un espace pour faire valoir leur timbre et leur attaque et une fois les thèmes exposés, toute latitude pour improviser librement en gardant la lettre à l’esprit. Here’s to Us est un groupe pour qui la narration compte beaucoup. Il ne s’agit pas que de musique, mais aussi d’un état d’esprit. Et celui de ce disque est propice au voyage.


Hidros 8 - Heal
Mats Gustafsson & NU ENSEMBLE
Trost Records

Mats Gustafsson est un homme de goût, aussi a-t-il depuis longtemps intégré la trompettiste dans son Fire ! Orchestra, pour notre plus grand plaisir. Mais Mats Gustafsson regorge d’idées et de projets. Aussi, il sort dernièrement un enregistrement réalisé il y a 6 ans déjà, à l’époque où le nom de Susana Santos Silva en Une de Citizen Jazz avait provoqué de nombreuses réactions de surprise auprès des professionnel.le.s du jazz français. « Mais qui c’est celle-là ? ». Aujourd’hui, plus personne ne se pose la question, aussi peut-on retourner en 2016 écouter cet orchestre, le Nu Ensemble, dans lequel on trouve également Per-Åke Holmlander au tuba ou Hedvig Mollestad à la guitare. Le Nu Ensemble a connu différentes configurations selon le temps (Axel Dörner pouvant prendre le pupitre de trompette), mais l’esprit Fire ! Orchestra et la patte de Gustafsson sont très présents. Hidros 8 – Heal est un album très coloré, très rythmique, avec toujours ce balancement cher au saxophoniste. Une grande place est laissée à l’expression individuelle et une liberté quant aux sonorités et timbres choisis. Hidros 8 – Heal est composé de deux longues plages, deux faces d’un même vinyle.


Enfin, dernière sortie, chez Intakt Records, mais tellement attendu, le duo avec la pianiste slovène Kaja Draksler.

Grow
KAJA DRAKSLER – SUSANA SANTOS SILVA
Intakt Records

Enregistré en concert à Copenhagen, pendant le festival de jazz, dans la Koncertkirken, cette salle à la belle acoustique où se jouent de nombreux concerts de haut vol, ce disque est donc le second volet de cette aventure musicale, après This Love qui date quand même de 2015.
Entre temps, les deux musiciennes ont beaucoup joué, beaucoup parlé et sont devenues de vraies amies, ce qui, en matière de musique improvisée en duo, est un avantage certain. Car leur musique à deux est une sorte de fusion de leurs deux univers, un équilibre parfait. On entend les thématiques rythmiques et les accords saccadés de la pianiste répondre aux vibratos et aux glissements cuivrés de la trompettiste. On entend les chuintements de l’une s’accorder aux frottements de l’autre. En quatre morceaux, les deux instrumentistes ouvrent grandes les portes de leur univers et invitent à un lâcher-prise qui convoque les plus déstabilisantes entités. Il arrive parfois que sans l’aide visuelle, on ne sache plus laquelle des deux émet tel ou tel son. Leur savoir-faire en matière de préparation d’instrument et de chimie timbrale leur permet de jouer de tous nos sens et de créer une nouvelle dimension musicale, tellurique. Les deux musiciennes échafaudent des murs de sons qui font sortir de terre un bâtiment tantôt étincelant, tantôt effrayant. Que ce soit une fine note tenue sur le fil comme hypnotique ou les grondements sismiques et sauvages, les univers musicaux s’entrechoquent, s’emmêlent, se superposent avec une évidence absolue.
Ce concert est enregistré dans de très bonnes conditions avec un son chaud et précis qui rend chaque souffle des instruments. Par chance, le duo se produit régulièrement en Europe, ne les ratez pas.