Chronique

Sylvain Cathala Trio

Moonless

Sylvain Cathala (ts), Sarah Murcia (b), Christophe Lavergne (dm)

Label / Distribution : Autoproduction

Après l’excellent disque de Print & Friends [1], qui démontrait une nouvelle fois son exceptionnel talent de compositeur et d’arrangeur, Sylvain Cathala nous refait le coup du disque parfait ou presque avec un trio qui existait depuis des années sous le nom de Rolex et porte désormais le sien.

Dès les premières mesures, une magnifique introduction de Sarah Murcia et les lignes de saxophone qui viennent s’y mêler avec le soutien de Christophe Lavergne, on devine ce Moonless plein de promesses. Tout d’abord, la contrebasse : puissance, vélocité, les cordes qui chantent, les notes qui rebondissent… Quelle élégance, quelle musicalité ! Puis on est pris par ces compositions à tiroirs, jamais à l’abri d’un rebondissement. Par instants la frontière entre écriture et improvisation semble ténue, les trois musiciens naviguant avec aisance sur des compositions complexes aux nombreuses brisures rythmiques et aux mélodies raffinées.

Pourtant, nul intellectualisme ici, nulle rigidité mais une liberté déconcertante, avec comme maîtres mots cohésion et cohérence : cohésion entre les instruments, leur dialogue ininterrompu, leurs questions-réponses, d’un côté, et de l’autre entre batterie et contrebasse, complices et complémentaires ; mais aussi cohérence du propos, exploration sans redite d’une voie exploitée jusqu’au bout, jusque dans chaque méandre, chaque recoin.

La qualité de ce trio tient au son d’ensemble, à l’entente parfaite entre les musiciens, bien sûr, mais aussi aux remarquables individualités qui s’y affirment. Eblouissante, Sarah Murcia survole les sept morceaux de Moonless, que ce soit en termes de soutien rythmique ou lors de ses solos. Polyrythmicien en chef, Lavergne nourrit le groupe de sa frappe tantôt sèche et métallique, tantôt souple et mélodique, mais toujours en adéquation avec la musique. Quant à Cathala, ce trio nous permet de (re)découvrir « hors Print » l’instrumentiste : la science de l’écriture ne saurait masquer ses talents de saxophoniste. Au contraire, elle les met en valeur : sa sonorité - acidulée, tendue ou bien feutrée - est toujours au service du propos, et sa technique irréprochable lui permet d’exploiter pleinement le travail de ses acolytes tout en magnifiant son propre matériau.

Moonless, premier disque de cette formation, s’est fait attendre, mais en valait la peine. Sa maturité l’autorise à proposer une musique à la fois complexe et fluide, charnelle et moderne, mêlant sensualité et élégance dans un même geste. Le Syvain Cathala Trio est une des synthèses les plus personnelles et les plus réussies de ces vingt-cinq dernières années et des avancées musicales qui les ont marquées, plus particulièrement au sein de la mouvance lancée par Steve Coleman. Un des premiers coups de cœur de 2010.