Chronique

TOC & The Compulsive Brass

Air Bump

Jérémie Ternoy (cla), Ivann Cruz (g), Christian Pruvost (tp), Jean-Baptiste Rubin (ts, bs), Sakina Abdou (as, ss), Maxime Morel (tb), Peter Orins(dms)

Label / Distribution : Circum Disc

La Nouvelle-Orléans en a vu d’autre. Des ouragans, des submersions, des pluies diluviennes… Alors lorsque le trio composé de Jérémie Ternoy au Fender Rhodes, de Peter Orins à la batterie et de Ivann Cruz à la guitare débarque en Louisiane en tramway, tout droit revenu de la banquise pour retrouver l’électricité, le bayou ne se méfie pas forcément. Pourtant, TOC n’arrive pas seul, puisqu’au trio s’adjoint un quarteron de soufflants parmi leurs amis du collectif Muzzix, rangés sous le fanion du Compulsive Brass, formation éphémère et pugnace menée par le trompettiste Christian Pruvost dont le râle extatique fraye avec les éclats acérés de la puissance électrique. La fanfare de poche, où l’on découvre deux saxophonistes adeptes des expériences bruitistes de Becoq, Sakina Abdou (Eliogabal) et Jean-Baptiste Rubin (Louis Minus XVI), est là pour capter l’énergie des rues populaires du Quartier Français.

Ce n’est pas, au premier abord, très évident, et les coups de boutoir du Power Trio nous renvoient aux climats habituels, proches de l’agitation urbaine et des débris de métal. « Air Bump » débute dans un maelström de remous souterrains, telle une nappe épaisse qui avance inexorablement. Air Bump se constitue d’un noyau très dense, voisin de Haircut, le précédent disque, avec quelques souffles en surplus pour complexifier le tout. Et puis soudain, au gré d’un jeu de coulisse du tromboniste Maxime Morel, devenant omniprésent avec le temps, puis du tutti compulsif du brass-band, voici que l’équipage fait surface. Un peu de lumière tamise l’agrégat noirâtre, curé des marais. Le propos s’échauffe, se raffine mais garde son aspect turbide, volontairement étouffant. C’est finalement avec « Kat Kid », le dernier long titre, que l’on perçoit davantage la silhouette d’un jazz New-Orleans. Mais bien sûr, celui-ci est comme passé dans un blutoir, empoissé de scories, recouvert d’un limon de clavier et de guitare. Cela évoque une civilisation éteinte qui sortirait de terre sous le pinceau délicat de l’archéologue.

C’est bien là la qualité de TOC, ici étendue à leurs proches. Nous avions noté l’aspect syncrétique du trio, qui peut suggérer au gré d’un long morceau de nombreuses influences, toutes agglomérées. Même lointain, même altéré, on en reconnaît chaque ingrédient lorsqu’on s’immerge profondément dans les abîmes du son, au plus près du noyau. Ici, le son de la Nouvelle-Orléans est trituré, filtré, dénaturé pour se fondre dans la masse. Il en résulte une atmosphère obsessionnelle, suffocante, qui nous emporte comme un mascaret. On songe beaucoup à ce que l’on a pu entendre par ailleurs avec La Pieuvre ou le Circum Grand Orchestra où la plupart des musiciens ici présents émargent : « Stomp Out From Jelly » est une construction patiente de cycles instables et d’ostinati qui s’entrechoquent excités par les ponctuations de plus en plus violentes de Peter Orins. Pour TOC, la Nouvelle-Orléans n’est pas un astre mort. Il est simplement cristallisé au cœur d’autres musiques.