Chronique

Takatsuki Trio Quartett

At Kühlspot

Silke Eberhard (as), Rieko Okuda (p, voc), Antti Virtaranta (b), Joshua Weitzel (g, shamisen)

Label / Distribution : 577 Records

Un jeu de piste dans lequel il faut se perdre pour trouver sa route, voilà ce qu’est At Kühlspot, disque en forme d’entrée en matière pour des musiciens qui n’aiment rien tant que n’être jamais où on les attend. On y entre d’autant plus aisément que l’une des musiciennes de cet enregistrement berlinois d’août 2020 est la saxophoniste Silke Eberhard, qui nous gratifiés il y a peu d’une belle interview. Elle est ici dans un exercice qu’elle aime, en parfaite liberté, invitée à faire parler la poudre dans un morceau unique où elle mène l’improvisation avec un orchestre frondeur mais à son écoute pleine et entière, où la tension est de mise. À commencer par la pianiste Rieko Okuda, à l’origine des rencontres du Takatsuki Trio Quartett ; si la Japonaise installée en Allemagne n’est pas encore fameuse de ce côté-ci du Rhin, ce disque ne manquera pas d’y contribuer. On l’a certes entendue avec Philippe Lemoine, mais c’est avec ce projet Takatsuki qu’elle interpelle : née pendant le lockdown, cette initiative permettait au trio où émarge le contrebassiste finlandais Antti Virtaranta d’inviter un quatrième musicien pour pénétrer son univers.

D’où l’idée de ce trio, qui porte le nom d’une ville proche de Kyoto, de se transformer le temps d’une soirée en quartet. Après avoir rencontré Matthias Schubert ou Nikolaus Neuser, c’est donc avec Silke Eberhard que le label américain 577 Records a décidé de publier cette musique. Le piano d’Okuda est puissant ; il rivalise en énergie avec l’alto, mais jamais le propos ne s’emballe dans un face-à-face. La raison tient à la capacité d’Eberhard à occuper les temps faibles par son goût de la rupture rythmique. Une qualité que la main gauche puissante de Rieko Okuda sait mettre en grande valeur, d’autant que la contrebasse sait occuper le bas-fond, traquant le moindre silence pour lui donner corps, en lien direct avec le guitariste Joshua Weitzel qui joue aussi du Shamisen et qui sait être aussi omniprésent qu’il est discret.

Parfois, la guitare disparaît dans le maelstrom de l’alto, d’autant plus lorsque le piano agit comme une vague puissante. L’électricité surnage, s’enfonce, le ressac devient ridule et c’est la contrebasse de Virtaranta qui en ressort, gage de calme et d’une soudaine quiétude. At Kühlspot, du nom du club berlinois qui accueillait les dialogues ouverts de ce changeant équipage, est un bel exemple de créativité, un cri de liberté dans une période de contrainte. On retrouve cette tension qui fait tant briller la musique d’Eberhard, et même si la friction est parfois réelle entre Okuda et elle, deux musiciennes qui dominent cet échange, on a surtout le sentiment d’une effervescence nécessaire, comme retenue par les circonstances. La musique pendant le COVID n’a pas fini de nous livrer ses perles.

par Franpi Barriaux // Publié le 9 janvier 2022
P.-S. :