Chronique

Taylor Ho Bynum 9-tette

The Ambiguity Manifesto

Label / Distribution : Firehouse 12 / Orkhêstra

Le titre à lui seul pose un paradoxe : Le Manifeste équivoque ; une affirmation sujette à caution. Le doute en bandoulière, la versatilité comme marque de fabrique. Bienvenue dans le monde du cornettiste Taylor Ho Bynum, qui nous avait déjà fait entrer dans son plustet et nous emmenait naviguer –absolument pas à vue- dans un 7-tette dont on retrouve ici le corps : Tomas Fujiwara à la batterie, Jim Hobbs à l’alto, Bill Lowe au trombone, Mary Halvorson à la guitare et Ken Filiano à la contrebasse… Un choix qui permet tout à la fois de bouger des montagnes et d’effleurer en finesse, à l’instar de « (g)host(aa/ab) » où les soufflants à la dentelle facile se heurtent à une rugosité plus massive que lourde mais avec les deux pieds campés dans le sol. Le rôle de Stomu Takeishi [1] à la basse électrique, qui double tout à la fois Filiano et Halvorson, est à ce titre primordial. Il est l’un des générateurs de mouvement ,ou plutôt d’oscillation entre parti-pris volontiers rock (le « Neither When nor Where  » inaugural, petit bijou de circulation parfaite, fluide et amusée au sein de l’orchestre) et des tentations plus contemporaines et chambristes qui rappellent que Ho Bynum est un très proche de Braxton (« Enter (g) Neither »), qui plane sur certains morceaux comme une ombre bien lumineuse.

Les autres nouvelles venues sont Ingrid Laubrock au ténor et Tomeka Reid, deux habituées de ces univers. La première s’intègre à merveille dans le paysage et témoigne de la complicité qui règne dans cet orchestre ; la seconde joue un rôle d’électron libre, ou plutôt de pivot, à l’instar de Takeishi. La violoncelliste fait le lien entre les soufflants, dirigés par un Bynum loquace et souvent en pointe, et la guitare de Halvorson, remarquable dans la construction et le tramage des morceaux (« Ally Enter » et l’étonnant bourdon du trombone). Le rôle des trois arrivants est de compléter ce que l’on entendait dans Navigation, dont The Ambiguity Manifesto est la suite logique, elle-même sortie, presque naturellement, sur le label Firehouse 12. C’est ainsi qu’il y a des pas de deux et des élans collectifs, mais rarement des envolées individuelles. C’est la marque de fabrique de cet orchestre à la large palette de couleurs qui n’hésite pas à les utiliser toutes, sans pour autant barioler les choses.

Où est l’ambiguïté alors ? Justement dans cette simplicité pure et franche malgré la possibilité d’aller dans des directions très complexes (« Real/Unreal » et le travail remarquable de Fujiwara qui sculpte, voire dompte la masse orchestrale des soufflants. S’il y a une quelconque ambivalence, ce n’est pas dans la relation entre les musiciens. Il y a une véritable unité, malgré l’indéniable volonté de faire feu de tout bois (« unreal/Real », dernier morceau où les thèmes se mélangent, s’accumulent dans une logique de frottement plus que de confrontation). Le 9-tette est uni, parle d’une seule voix même quand il est très volubile et déborde d’idées. Une équivoque bien souvent joyeusement univoque. Là réside sans doute la délicieuse ambiguïté. C’est manifeste.

par Franpi Barriaux // Publié le 6 octobre 2019
P.-S. :

Taylor Ho Bynum (cnt), Jim Hobbs (as), Ingrid Laubrock (ts), Bill Lowe (tb), Mary Halvorson (g), Tomeka Reid (cello), Stomu Takeishi (b), Ken Filiano (b), Tomas Fujiwara (dms)

[1Entendu dans le Vu-Tet de Cuong Vu.