The Bridge, un pont par-dessus l’Atlantique
Programme d’échange musical multiforme, The Bridge vise à ouvrir la frontière et promouvoir les échanges transatlantiques.
Programme d’échange musical multiforme, The Bridge vise à ouvrir la frontière et promouvoir les échanges transatlantiques. Il regroupe des musiciens, mais aussi des clubs, des festivals, des universités ou encore des centres culturels, et fonctionne comme une matrice de projets.
Ethnomusicologue, anthropologue de la musique, programmateur au Musée du Quai Branly (Bleu indigo), poète (spoken word) auteur du Champ jazzistique (Parenthèses, 2002), Alexandre Pierrepont définit le jazz non comme un style mais comme une vision du monde, un « champ » où domine un certain mode de discours dialogué (call-and-response), improvisé, ouvert. Un tel « champ jazzistique » excède la question musicale pour proposer un autre type de sociabilité, fondé sur un être ensemble qui dépasse les individualités, perpétuellement remises en jeu par la circulation de la parole dans l’improvisation, d’où la notion de propriété est exclue et où chacun devient membre de l’univers de l’autre. Ainsi, le même et le différencié cohabitent, offrant une issue nouvelle à la question de l’altérité. Dans le livre, les références sont américaines : on parle de la Great Black Music, du free jazz d’Ornette Coleman ou des improvisations collectives de Lawrence « Butch » Morris. En outre, sa thèse, qui porte sur l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), basée à Chicago, sera publiée l’an prochain.
Dès lors, il semble naturel qu’Alexandre Pierrepont soit à l’origine d’un projet entre musiciens américains et français. En effet, il est parfois surprenant de constater à quel point la frontière entre les deux pays est étanche, alors qu’elle aurait toutes les raisons de ne pas l’être. Le simple fait qu’une grande partie du public français connaisse si peu les productions américaines, en dehors des stars, est révélateur. Programme d’échange musical multiforme, The Bridge vise à ouvrir cette frontière et promouvoir les échanges transatlantiques. Il regroupe des musiciens, mais aussi des clubs, des festivals, des universités ou encore des centres culturels, et fonctionne comme une matrice de projets.
Il a été inauguré par deux concerts. À la Maison des Arts de Créteil, il s’est associé au festival Sons d’hiver (on pourra lire ici un compte rendu où il est également question des « tambours conférences » animées par Pierrepont) lors de la soirée du 23 février 2013, avec Tortoise, groupe de hardcore chicagoan qui puise aussi bien dans le noise et le post-rock que dans le jazz et l’improvisation [1], trois invités américains : Nicole Mitchell (flûtes), Jim Baker (piano), J.T. Bates (batterie), et trois jeunes musiciens français : Aymeric Avice (trompette), Julien Desprez (guitare) et Antonin-Tri Hoang (clarinette alto). Le concert, visible encore quelques mois sur Arte Live Web, enchaîne des ambiances relativement différentes : introduction éclatée et atmosphérique, solo de trompette, duo de batteries, mélodie chantée par la flûte ou mise en avant des guitares et des machines pour un son beaucoup plus krautrock ; mais il s’impose par un flux sonore mouvant et fluide qui, véritable puissance de feu, se démultiplie et accueille en son sein plusieurs courants mélodiques simultanés : polyrythmie, improvisations, mélodies se côtoient et circulent entre les instruments selon les moments. Belle illustration de ce que peut être le champ jazzistique : un espace de dialogue où les lignes bougent sans cesse et dont le mouvement est, précisément, la forme.
- Fred Jackson & Stéphane Payen © Edward Perraud
Aux Etats-Unis, le Chicago Cutural Center a accueilli le 26 avril 2013 le quartette de Fred Jackson, Stéphane Payen, Edward Perraud et Frank Rosaly dans une salle comble. En plus du concert, les invités français ont eu droit à une séance d’enregistrement avec les Américains à l’Experimental Sound Studio, un des principaux studios de répétition et d’enregistrement de la ville qui est aussi une galerie d’art et un centre d’archives où sont déposés tous les enregistrements de Sun Ra ; s’y sont ajoutés une « playing session » avec une dizaine de musiciens de toutes les scènes de Chicago, une jam session dans un des centres culturels historiques du ghetto, le South Side Community Art center, une masterclass à la Roosevelt University et des participations ponctuelles et informelles au sein de formations locales dans des clubs de la ville, le Jazz Showcase et le Hide Out.
Non content d’organiser des concerts, The Bridge fonctionne en réseau et s’appuie sur une connaissance pratique du terrain et de ses relais pour « infiltrer » les musiciens de manière durable. L’objectif final, avoué, est l’imprégnation concrète et réelle d’un environnement socio-musical dans l’autre. Ce but inédit se double d’une collaboration entre différents types de structures (clubs, festivals, universités, écoles et autres institutions), afin de toucher le public le plus large possible, à la fois éclairé et néophyte.
Ce réseau d’échanges et de relations est activé quatre fois par an. La première tournée proprement dite est prévue du 14 au 28 octobre 2013 avec le quintet de Douglas Ewart, Jean-Luc Cappozzo, Bernard Santacruz, Joëlle Léandre et Michael Zerang pour sept dates en France et de multiples activités. Suivra en novembre une collaboration entre Benjamin Sanz, Aymeric Avice, Joshua Abrams, Jason Adasiewicz et Avreeayl Ra. Enfin, d’ici l’automne 2014, on pourra entendre dans différents projets des musiciens comme Rob Mazurek, Hamid Drake, Ramon Lopez, Eve Risser, Mike Reed, Marquis Hill, Joachim Florent, Sylvaine Hélary, Mwata Bowden… Une initiative créatrice salutaire.
Communiqué du 24/07/13 :
Les concerts confirmés de 2014
- Février : Ramon Lopez / Hamid Drake / Harrison Bankhead / Benjamin Duboc
- Avril/mai : Rob Mazurek / Mwata Bowden / Julien Desprez / Mathieu Sourisseau / Matt Lux
- Octobre : Sylvaine Hélary / Eve Risser / Fred Lonberg-Holm / Mike Reed
- Novembre : Marquis Hill / Jeff Parker / Joachim Florent / Denis Fournier
En France, à partir d’octobre, les clubs et festivals partenaires (Pannonica, Tribu, Petit Faucheux, Penn Ar Jazz, Carré Bleu, Un Pavé dans le jazz, AJMI, La Java, Sons d’hiver…) fourniront l’indispensable armature de ces tournées/voyages d’exploration.
Nous travaillerons également avec des écoles et des universités sur tout le territoire (par exemple à Toulouse, cet automne, les musiciens de la première formation interviendront lors d’un colloque sur jazz et musique classique contemporaine), pour assurer la transmission de ce qui se passe, un courant alternatif, vers celles et ceux qui croient ne rien connaître, et celles et ceux qui croient tout savoir.
Le rayonnement de ces projets au-delà des lieux et institutions préposés, la recherche d’autres liens avec la société, et la constitution d’archives vivantes, au fur et à mesure, restant dans nos priorités.
A Chicago et alentour, nous comptons désormais plus d’une dizaine de bars, clubs et salles de concert où faire rayonner chaque ensemble, sous-ensemble et sur-ensemble (Umbrella Music Festival, Hyde Park Jazz Festival, Constellation, Hungry Brain, Hideout, Elastic, Skylark, The Whistler, Comfort Station, Dorchester Projects, Jazz Institute of Chicago…), sans compter notre partenaire fiscal en Amérique du Nord, l’Experimental Sound Studio, qui est également un studio d’enregistrement.
A noter, les musiciens de la ville nous ont prodigieusement aidés à structurer certains de ces partenariats.
Pour soutenir nos efforts, encore, nous pouvons compter sur trois universités, lieux privilégiés de la « culture » aux US of A : University of Chicago, DePaul University, et Roosevelt University, où auront systématiquement lieu des concerts, des masterclass, voire des séminaires. Par exemple cet automne, les musiciens de la seconde formation interviendront dans la classe du philosophe Arnold Davidson, spécialiste de Michel Foucault, sur le thème : « Improvisation et répétition ». « En bas de l’échelle sociale », nous essayons également d’organiser un séjour à l’intérieur du séjour dans certains quartiers du ghetto, pour dialoguer avec celles et ceux qui ont un rapport viscéral avec la « liberté d’expression ».
Nous proposons un éventail d’activités et d’expériences aux musiciens visiteurs, là-bas, et ici, pour « infiltrer » les uns et les autres chez les autres et les uns, avec pour « ultime » objectif l’imprégnation d’un environnement musical, socio-musical, dans un autre, et réciproquement, puisque The Bridge est enfin un projet collectif / collaboratif / coopératif. »