Chronique

The Young Mothers

Better If You Let It

Jawwaad Taylor (tp, voc), Jason Jackson (ts, bs), Stefan Gonzalez (vib, d), Jonathan F. Horne (g), Ingebrigt Håker Flaten (b), Frank Rosaly (d)

Label / Distribution : Sonic Transmissions

Lorsqu’on est persuadé qu’il existe, aux convergences des vecteurs infinis, un point où toutes les expressions musicales se rejoignent, on ne peut être que subjugué et ravi par les tentatives d’amalgame et de dialogue qui tendent vers ce point utopique. D’autres auraient dit fusion, mais le terme implique une dissolution de l’un des genres dans l’autre, et il ne peut s’agir de prédation ; on l’a vu avec le jazz et le hip-hop dans les années 90 majoritairement, ce n’est plus vraiment l’un et assurément pas l’autre. Il faut marcher de front pour ne pas affadir. Et c’est le tour de force de Young Mothers depuis 2018 que de tendre vers une convergence sans perte de vitamines.

Le long « Better If You Let It », premier morceau qui donne le titre au nouvel album du sextet transatlantique, l’illustre bien : les deux batteries de Stefan Gonzalez et Frank Rosaly nourrissent une rythmique réglée par la basse d’Ingebrigt Håker Flaten qui plonge ses racines dans une teinte jazz-rock que contrebalance la voix du rappeur et trompettiste Jawwaad Taylor. Plus loin, avec « Lijm », c’est le ténor de Jason Jackson, déjà entendu avec Damon Smith, qui hurle une rage élégante escortée par Gonzalez, brillant au vibraphone, et une programmation électronique qui replace l’objet sonore dans sa propre lignée temporelle. On a connu d’autres Mothers qui s’amusaient à ne jamais être où on les attend et à bousculer les oreilles avec une virtuosité non démonstrative. On rejoint ces fabuleux chemins de traverse, souvent illuminés par la guitare de Jonathan F. Horne, davantage perçu ici comme un designer sonore. [1].

Moins tourné vers le hip-hop et le metal que Morose (2018), ce nouvel album prend davantage le temps, refuse l’urgence. Comme si Bota Pierna, l’incroyable concert enregistré avec le groupe de cumbia El Ombligo en 2021, avait conduit le groupe à s’engager sur le temps long, à fouiller dans ses propres dispositifs de tension, à l’image de ce « Scarlet Woman Lodge » que les soufflants font tourner au milieu d’une rythmique en constante reconstruction, jusqu’au retour d’un growl venu du metal, griffure violente qui vient comme une submersion contre laquelle on ne peut rien. Avec The Thing, Ingebrigt Håker Flaten avait déjà montré qu’une voie centrale était possible dans l’approche des confins ; The Young Mothers, machine de guerre en live, est une autre preuve éclatante que cette recette fonctionne.

par Franpi Barriaux // Publié le 30 mars 2025
P.-S. :

[1Un rôle qu’il avait déjà dans Texas But Biters chez Astral Spirits, qui réunissait la moitié des Young Mothers (Flaten, Gonzalez et Horne).