Chronique

Un Poco Loco

Ornithologie

Fidel Fourneyron (tb), Geoffroy Gesser (ts, cl), Sébastien Belliah (b)

Label / Distribution : Umlaut Records

Un Poco Loco, c’est un peu une machine à remonter le temps cubiste ; un engin à déconstruire le patrimoine de nos musiques pour mieux les relire aujourd’hui. À nous emmener ailleurs, au-delà des paradoxes temporels et des anachronismes, dans une dimension où les slaps de ténor de Geoffroy Gesser et les jeux d’embouchures de Fidel Fourneyron valent tous les balais sur les caisses claires. Passés les morceaux cultes, ceux qui sont dans le Great Book, sur le lutrin de la Nef des Fous, il fallait voir plus loin. Après une naissance au son du « Un Poco Loco » de Bud Powell, dans le cadre des disques de membres de l’ONJ d’Olivier Benoit, le trio emmené par le tromboniste avait fait dans la revisite thématique. On se souvient de Feelin’ Pretty, remarquable évocation de West Side Story. En cette année du centenaire de Charlie Parker, il était prévisible d’y retrouver nos trois habitués de l’Umlaut Big Band.

Un morceau emblématique comme « Chasin’ The Bird » exprime bien la démarche d’Ornithologie. Il s’opère un glissement entre les soufflants, Fourneyron jouant l’oiseau plus souvent que l’anche de clarinette de Gesser, qui se charge de boiser la parole de Miles Davis. Il y a du jeu, au sens ludique, que la contrebasse sèche et élégante de Sébastien Belliah se charge d’arbitrer. Le plaisir est évident dans cette lecture, et l’on perçoit parfois quelques instants euphoriques. Comment ne pas l’être lorsqu’on joue « Salt Peanuts » ? Il se présente une course rigolarde entre les musiciens, un jeu de touche qui ne cesserait de s’accélérer à mesure que les pizzicati de Belliah règlent le pas. Il n’y a pas de recherche de virtuosité mal placée, juste une volonté de s’installer dans cette musique avec respect mais beaucoup de liberté. Un Poco Loco nous avait habitués aux disques courts, coup de poing, une sorte de carambolage permanent. Avec cette œuvre ils prennent plus de temps, sans craindre de se répéter. « Mango Mangue / Donna Lee » en est un parfait exemple, alors que le contrebassiste passe à l’archet pour mieux souligner la brillante justesse de Fourneyron.

Braxton disait, en s’emparant de Parker, qu’il voulait jouer la musique en s’inspirant de ses propres expériences, comme Bird le faisait à son époque. Il est moins question de grammaire que de couleurs avec ce trio. Un Poco Loco a délaissé la réflexion intense et la perspective pour l’instinct et la vision prismatique. Quelque chose de plus ramassé, musculeux. Animal, comme le précédent album de Fourneyron ? Ca y ressemble. Le résultat est brut, mais chamarré et gracieux. Rien de plus normal pour un oiseau.