Chronique

YR3

Big Rock

Yvan Robilliard (p, mini Moog, Fender Rhodes), Laurent David (elb), Éric Échampard (dms).

Label / Distribution : Klarthe Records

Yvan Robilliard est loin d’en être à son premier coup d’essai. On connaît bien en effet le pianiste, ne serait-ce qu’en tant que membre de l’impétueux Jus de Bocse de Médéric Collignon. Cette seule appartenance pouvant définir à elle seule un musicien pas tout à fait comme les autres. On l’a connu aussi – c’était en d’autres temps – compagnon de route d’Ibrahim Maalouf, ce qu’on lui pardonnera volontiers. Sans oublier plusieurs disques sous son nom, tel Intuitions dont Citizen Jazz avait fait un Élu en son temps, il y a près de dix ans. Pas plus qu’on ne passera sous silence le séduisant A Long Lone Way, un duo avec le trompettiste Nicolas Genest paru en 2015.

Mais avec Big Rock, il signe son premier décollage et par la même occasion ce qu’on pourra qualifier de concept album. En d’autres termes, un disque conçu comme un tout, avec une histoire, un début, une fin. Les plus anciens connaissent cette notion qui les renverra aux grandes heures de la pop music et du rock des années 60 et 70. Car Yvan Robilliard a décidé de s’envoler vers la Lune (c’est elle, le « gros caillou ») : et pour que le voyage soit plus riche d’aventures et d’émotions, il a sollicité deux amoureux des sentiers non battus, dont les expériences respectives ont démontré la faculté à s’affranchir des barrières stylistiques. Il a donc pu compter sur le gros son (mais à forte empreinte mélodique) de la basse électrique de Laurent David (M&T@L, Guillaume Perret, Shijin…) tout comme sur la batterie exploratrice d’Éric Échampard (MegaOctet, ONJ Olivier Benoit…) pour réussir un aller-retour à la fois sans encombre et passionnant de bout en bout. Nom de code : YR3.

D’une certaine manière, Yvan Robilliard vient nous rappeler que le jazz est une musique plurielle et que celle-ci n’existe que par sa capacité à être mouvante. Il n’y a pas un jazz, il en est des multitudes. Autant de formes perméables les unes aux autres, et chez le pianiste un évident désir de syncrétisme, jusqu’aux abords d’un rock progressif d’aujourd’hui. Le voyage d’YR3 passe en effet par tous les états – incluant des archives sonores de la Nasa – allant de la concentration à la forte poussée du décollage en passant par l’apesanteur, la sidération face au spectacle de l’espace et la contemplation devant l’infini Le piano aux intonations classiques laissera ici volontiers la place à un mini Moog. Chacun des instruments est légitime dans ce périple, les hiérarchies s’effacent au profit d’une musique fusionnelle et fertile en rebondissements. Le trio a même embarqué John Coltrane dans son habitacle : à la faveur d’un « Namaï » - une déclinaison très contemporaine de « Naima » - on entend la voix du saxophoniste, dont la spiritualité avait elle aussi des allures de grand voyage.

Big Rock est de ces disques qui s’insinuent au fil des écoutes. Très difficile en effet de ne pas y revenir dès lors qu’on a goûté aux charmes célestes de son voyage.