Chronique

Antoine Berjeaut

Moving Cities

Antoine Berjeaut (tp), Julien Lourau (ts), Junius Paul (b), Arnaud Roulin (cla, elec, fx), Guillaume Magne (g), Matt Gold (g), Lorenzo Bianchi Hoesch (elec, fx)

Label / Distribution : I See Colors

Voilà des années que les ponts (Les Bridges, in english) se dressent entre Chicago et Paris. On pourrait dire que c’est depuis les années 60 et l’arrivée des jazzmen dans la capitale française à l’orée du free jazz, et que cela a dépassé largement le cadre de nos musiques, gagnant l’électronique où la capitale de l’Illinois tient également un rôle prépondérant. Mais dans la décennie passée, les liens se sont fait plus forts, tant dans le jazz que dans le hip-hop ; ce ne sont pas les Bretons d’Énergie Noire qui diront le contraire. Dans ce contexte, la rencontre entre le trompettiste Antoine Berjeaut et Makaya McCraven était de l’ordre de l’inéluctable. On se souvient du premier dans un fondateur Wasteland qui l’éloignait de son rôle dans le Surnatural Orchestra. Du second, on résumera en quelques mots qu’il est un batteur incroyable (Universal Beings) pour un label généreux et un producteur finaud aux projets enthousiasmants ou foutraques ; on citera son hommage à Gil Scott-Heron et un all-stars pour Impulse ! afin de célébrer Sgt Pepper’s.

Une sauce des plus épicée, donc, qui trouve son liant idéal dans l’électronique vintage de « Twelve Donkeys » où Arnaud Roulin et Lorenzo Bianchi Hoesh manient claviers et potentiomètres avec l’envie d’habiller le noyau de cette rencontre. Ce centre se situe forcément dans le lien fort entre batterie et trompette. Un cœur qui doit beaucoup aux trouvailles d’une autre doublette transatlantique : Guillaume Magne à la guitare et Junius Paul à la basse rivalisent d’électricité et de dureté pour évoquer la ville, le trafic, la densité humaine et urbaine. Le disque palpite, crépite, accélère au feu orange. Un morceau comme « Down the Clipper », avec sa rythmique effilée comme l’avant d’un bolide, en est le parfait exemple, entre ligne droite et éclats intrépides de la guitare. Berjeaut et McCraven remixent au sens premier, en direct et en public, trente ans d’influences et de liens chaleureux voire libidineux entre musique populaire et expérimentations plus underground. Le tout avec une virtuosité de chaque instant (« Lost and Found »).

Antoine Berjeaut jubile dans cet album, c’est indéniable. Il replonge dans ses amours de jeunesse, ces liens indéfectibles entre électronique et jazz qui firent beaucoup du son des années 90. C’était vrai dans Wasteland, c’est sans doute davantage personnel dans Moving Cities où l’accompagne le « grand frère » Julien Lourau, véritable vigie dans ce voyage qui se partage entre espace et temps. Ecouter « Lourau’s Loop », c’est replonger dans un son que l’on n’avait pas oublié mais qui nous revient comme une évidence, comme un écho à toute cette modernité charriée par McCraven. Il n’y a pas de nostalgie, pas plus que de paléontologie là-dedans, juste une continuité, une volonté de redessiner des habits anciens qui sont encore parfaitement ajustés et nous font hocher la tête avec le plaisir des retrouvailles (« Sci-FI »). On pourra objecter une petite sophistication parfois, une rondeur qui manque de salissures sur certains morceaux, à l’instar du groove dégingandé de « JP Beats  ». C’est de la gourmandise de producteur qui donne un peu de lustre à un album cohérent et vraiment réjouissant.