Chronique

Arfi & Aperto Libro

Arfolia Libra

Label / Distribution : ARFI

Pour beaucoup de mélomanes, La Folia s’identifie illico à la viole de Jordi Savall, à l’abbaye de Fontfroide et aux instruments anciens ; c’est un fait, mais il est parcellaire. Les Folies d’Espagne, son autre nom dont les origines se révèlent d’ailleurs plutôt portugaises, est une ritournelle du XVIe siècle qui de Lully à Vangelis a toujours fasciné les compositeurs sans laisser le temps empeser sa simplicité. Il aurait été surprenant que les improvisateurs contemporains ne s’en emparent pas ; si le Rêve de l’Éléphant Orchestra en a récemment usé directement dans Odyssée 14, le thème est souvent utilisé sous forme de citation, clin d’œil, coquetterie, colifichet, miroir, porte-bonheur, contrepoint… ou tout autre usage nécessaire à bon nombre de créations musicales.

La Folia est donc fondatrice. Mais un collectif comme l’Arfi ne pouvait se contenter d’une simple lecture, sage et respectueuse. Le propos d’Arfolia Libra, c’est de faire vivre la modernité de la partition en la confrontant aux passages successifs des interprétations et des improvisations, telle qu’elle était à son époque ; un mille-feuille qui se joue du dialogue entre les siècles pour créer un répertoire à l’étrangeté lumineuse, proche sans doute de ce que David Chevallier proposait autour de Gesualdo. En compagnie du consort Renaissance Aperto Libro, un quartet de jazz où l’on retrouve notamment le saxophoniste Jean-Paul Autin et le clarinettiste Clément Gibert, se saisit de cette mélodie comme sujet d’expérience et de déconstruction. En témoigne « Folia », en tout début d’album. L’exposition du contrepoint de Diego Ortiz (1510-1570) offre aux quatre flûtes à bec d’Aperto Libro de bâtir un jeu de timbres extrêmement raffiné avec les anches ARFIennes. Tous ensemble, musiciens Renaissance et musiciens de jazz reproduisent le timbre de l’orgue avec une certaine malice. Ensuite, le thème est détaillé, détourné, mais jamais être tourné en dérision.

C’est exactement ce qu’on entend dans « Artfolia 1.5 », construit autour de la basse de La Folia, où les limbes électroniques et les sons de Xavier Garcia, soulignent à merveille la conversation entre la clarinette contrebasse de Gibert et les flûtes, mais aussi entre la voix de Lucile Perret et celle de Jean Aussanaire. À de nombreuses reprises Garcia, qui signe plusieurs arrangements, installe un terrain propice à la rencontre entre deux orchestres qui font vite l’unité. Ainsi « Caballeros », où il s’instille entre les soufflants pour suggérer des images. On trouvera dans ce disque un lien immédiat avec A la vie la mort, un spectacle de l’Arfi dont la proximité ne s’arrête pas à la présence d’Aussanaire. Comme pour les tableaux de Bruegel, La Folia est un objet des temps révolus dont l’inspection assidue permet de mieux se projeter dans le futur. Un grain de Folia plus que salutaire !

par Franpi Barriaux // Publié le 28 février 2016
P.-S. :

Jean-Paul Autin (sns, as, bcl, fl), Clément Gibert (cl, bcl), Jean Aussanaire (ss, voc), Lucile Perret (fl, tournebouts, perc, voc), Anaïs Ramage (fl, dulciane,cl, bombarde), Matthieu Bertaud (fl, traverso, tournebouts, hautbois de cornemuse), Tiago Simas Freire (fl, tournebouts, cornemuse, cornet à bouquin, cornet muet, perc, voc)