Chronique

Boclé Brothers Keltic Project

Rock The Boat

Gildas Boclé (b), Jean-Baptiste Boclé (vib, org), Loïc Bléjean (uileann pipes), Simon Bernier (dms).

Label / Distribution : Absilone

Le choix des instruments est essentiel dans la démarche artistique de Gildas Boclé en ce qu’il raconte aussi des histoires ayant jalonné son parcours de musicien. On sait que c’est la contrebasse de Patrice Caratini aux côtés de Maxime Le Forestier qui lui a donné un beau jour l’envie d’apprendre cet instrument, dont il affectionne particulièrement le jeu à l’archet. Chez lui, la contrebasse est chanteuse avant tout. Idem pour le vibraphone, dévolu à son frère Jean-Baptiste : souvenirs d’une belle rencontre avec Gary Burton et de Or Else, un disque paru en 2006. Ce même Burton qui avait enregistré en 1969 un album intitulé Country Roads And Other Places, dont le titre était évoqué en filigrane par le contrebassiste breton en 2014 sur Country Roads. Et puis, il y a la cornemuse irlandaise, ou uileann pipes, au cœur du Keltic Project que les frangins font vivre depuis une vingtaine d’années et qui leur a même valu en l’an 2000 un invité de luxe sur leur deuxième album, Pas An Dour, en la personne du regretté Michael Brecker. Celui-ci fut séduit par l’intégration dans leur musique de cet instrument pas tout à fait comme les autres, au sujet duquel Gildas Boclé écrit : « La première fois que j’ai entendu des uilleann pipes, ce fut comme un coup de foudre, une sonorité à la fois douce et primaire, j’ai tout de suite voulu l’intégrer à notre groupe ». Les frères Boclé ont trouvé en la personne de Loïc Bléjean le musicien à même de satisfaire leurs envies irlandaises : ce musicien, breton comme eux, a démarré l’apprentissage de l’instrument à la fin des années 80 et s’est perfectionné à l’occasion de nombreux séjours en Irlande pour devenir un musicien actif et éclectique de la scène celtique. Ajoutons la batterie de Simon Bernier, qu’on a pu croiser voici quelque temps du côté de l’Amañ Octet et l’équipage sera complet.

Et quoi de plus normal que cette idée d’équipage quand le quatrième disque du Keltic Project, publié au début de l’année chez Absilone, s’appelle Rock The Boat ? Ce qu’on pourra comprendre de plusieurs façons : faire tanguer le bateau ? faire des vagues ? jouer les trouble-fête ? Aucune importance, l’essentiel est ailleurs : dans ce qu’on qualifiera volontiers de cross over, soit un pont jeté entre les passions des frères Boclé : la musique celtique, bien sûr, mais aussi le jazz et les musiques anglo-saxonnes jusqu’à leur acception pop. Rock The Boat, bien que sans paroles, est une suite de chansons en forme d’hymnes aux intonations parfois mélancoliques, comme une déclaration d’amour faite aux mélodies. Un disque qui pourrait s’avérer populaire, porteur de beaucoup de sensibilité, quelque part entre tendresse et contemplation, mais surtout sans mièvrerie ajoutée. Il faut dire que les couleurs du quartet sont belles : Jean-Baptiste Boclé prend en charge le travail de fond en associant son orgue Hammond à la contrebasse fraternelle, avant de s’abandonner aux éclats de son vibraphone. Gildas Boclé quitte dès que possible la cellule rythmique pour s’échapper vers des contrées plus buissonnières, archet en main. Loïc Bléjean, lui, n’éprouve pas la moindre difficulté à faire comprendre que, loin d’être un instrument à ne pas exposer aux oreilles sensibles, la cornemuse irlandaise est émouvante, tout simplement.

Chacun pourra donc monter à bord du bateau Boclé sans le moindre risque de le faire tanguer… Embarquement immédiat !