Chronique

Céline Bonacina

Fly Fly

Céline Bonacina (bs, ss, perc, voc), Chris Jennings (b, perc), Jean-Luc Di Fraya (dms, perc, voc), Pierre Durand (g).

Label / Distribution : Cristal Records

Attention, ceci est bien un disque d’avant. Avant le coronavirus. Publié à l’automne 2019, le cinquième album [1] de la saxophoniste Céline Bonacina n’en possède pas moins toutes les qualités aptes à assouvir, aujourd’hui plus que jamais, l’appétit de grand air qu’a pu susciter la pandémie chez bon nombre d’entre les confiné·e·s. Son titre à lui seul, Fly Fly, est une invitation au voyage, dont chacun·e d’entre nous pourra à sa guise circonscrire le périmètre à celui des souvenirs ou des évocations. Prudence et contraintes climatiques obligent. Au bout du compte, ce disque a les belles manières d’un doux périple grâce auquel une « Ivre sagesse » vous conduira, par un simple effet de contraction, à l’ivresse. Celle du chant, de la mélodie aérienne et des émotions de toute vie en liberté.

Poursuivant sa collaboration avec le contrebassiste canadien Chris Jennings (qui signe cinq des treize compositions du disque), Céline Bonacina a choisi de renouveler les nuances de son monde haut en couleurs en s’adjoignant les services voyageurs du percussionniste chanteur Jean-Luc Di Fraya (Hadouk Quartet, Raphaël Imbert Bach-Coltrane) et du guitariste imprégné de blues, Pierre Durand, récemment entré dans l’ONJ sous la direction de Frédéric Maurin pour un hommage à Ornette Coleman.

Ce qu’on entend au premier abord de Fly Fly, ce sont les voix : celle de la saxophoniste bien sûr, mais aussi celle de Jean-Luc Di Fraya, qui a toujours placé le chant au premier plan de son expression. Le percussionniste marseillais, aérien comme jamais (écoutez « An Angel’s Whisper » par exemple), montre une fois encore toute sa sensibilité en déployant un jeu dont la nature impressionniste est devenue la marque de fabrique. La caresse plutôt que la frappe. Pierre Durand mêle envolées atmosphériques (« Tack Sa Mycket ») et pulsions aux accents rock parfois teintées de couleurs africaines (« High Vibration »). Il est un pourvoyeur de climats autant qu’un précieux guide de voyage(s). La présence de Chris Jennings, au-delà de sa contribution au répertoire, fournit l’assise – souple et musculeuse à la fois, d’une densité constante – sur laquelle Céline Bonacina peut se « reposer », en toute confiance, pour laisser libre cours à sa joie d’être en musique, aussi bien au baryton qu’au soprano.

Le mot « joie » est en effet celui qui pourrait résumer cette heure de ce qu’on nommera jazz par commodité mais qui est avant tout le fruit d’un subtil métissage survolant les continents. Fly Fly est un carnet de voyage de l’exultation : on n’ose pas évoquer l’idée de bonheur qui pourrait paraître incongrue, mais toute cette énergie condensée, tous ces rythmes et ces envolées profondément humaines lui ressemblent beaucoup. Ils sont aussi à l’image de la saxophoniste. Vous en voulez une preuve ? Écoutez « Friends & Neighbours Too » et son groove contagieux. On ne saurait mieux entrer dans cette danse irrésistible !