Chronique

Daniel Zimmermann

Montagnes Russes

Daniel Zimmermann (tb), Pierre Durand (g), Jérôme Regard (b, elb), Julien Charlet (dms). Label Bleu.

Label / Distribution : Label Bleu

Le tromboniste Daniel Zimmermann revient, et en grande forme s’il vous plaît ! Après son chatoyant Bone Machine publié en 2013, voici Montagnes Russes – tout un programme – publié chez Label Bleu. Cette maison aujourd’hui historique, implantée à Amiens, a connu des temps difficiles : aussi se réjouit-on de son dynamisme depuis quelque temps, dont témoigne une série de références qu’on peut rappeler ici : les Sky Dancers du fidèle Henri Texier, le Red Star Orchestra et son invité Thomas de Pourquery pour Broadways, Kind Of Red de Das Kapital, The Big Picture de David Krakauer ou bien encore Waiting In The Toaster par le Very Big Experimental Toubifri Orchestra emmené par le regretté Grégoire Gensse. La démonstration par l’exemple.

Daniel Zimmermann nous invite donc à monter avec lui dans ses Montagnes russes. Mais pourquoi un tel titre ? Tout simplement parce que la déclaration d’intention du tromboniste et ses musiciens consiste à délivrer un jazz nourri d’influences multiples entre lesquelles on voyage : funk, pop, blues, rock, Nouvelle-Orléans, et bien d’autres encore. Zimmermann le dit lui-même : « Les styles en tant que moyen ». Plus généralement, ce disque parle de l’homme, « avec ses forces, ses faiblesses, ses joies, ses rires, ses moments de vague à l’âme ou ses blessures ». On passe avec lui d’un état à l’autre, il y a des hauts, il y a des bas. Et pour être complet, il faut le citer une dernière fois : « Montagnes russes aussi car après chaque morceau de noirceur ou de désolation vient une composition liée à l’enfance, comme un écho au titre d’ouverture – « Au temps ôtant » – et à ses instants volés, ôtés par le temps ».

Autour de Daniel Zimmermann, trois musiciens complices dont l’énergie concentrée colle au plus près de celle du tromboniste. Pierre Durand (dont le nouveau disque, ¡Libertad ! publié chez Les Disques de Lily, est à découvrir absolument) à la guitare. Attardons-nous quelques instants sur son cas : ses interventions tout au long de Montagnes russes justifieraient à elles seules l’acquisition d’un disque qui regorge de vie (on pourrait dire la même chose au sujet de Dreamers de Sébastien Texier). Que Daniel Zimmermann ne nous en veuille pas de mettre ainsi en avant la performance de son partenaire, mais le constat est là : par la seule force de ses inspirations rageuses, le guitariste, non content de s’en donner à cordes joie, prend un plaisir évident à tirer l’embarcation près des rivages d’un blues-rock électrique aux couleurs multiples. Le jeu de Pierre Durand, habité d’une fièvre qu’on voudrait soi-même contracter sans attendre, est en outre contagieux. Il prend appui sur une rythmique dont la fermeté et la souplesse conjuguées font merveille. On connaissait, en particulier grâce aux Volunteered Slaves, la capacité de Julien Charlet à délivrer un drumming fougueux. On le retrouve ici au mieux de sa forme, épaulé par Jérôme Regard qui passe de la contrebasse à la basse électrique avec l’aisance des musiciens en état d’apesanteur.

Non, Daniel Zimmermann ne saurait nous reprocher de souligner les forces en présence dans son quartet, parce que de son côté, enthousiasme et joie profonde d’être au cœur du dispositif marquent les esprits. Osons la métaphore œnologique : son jeu est une gourmandise, sa sonorité tannique et gouleyante – on la qualifierait volontiers de longue en bouche – comme une invitation permanente à s’asseoir à sa table musicale. Oui, vraiment, il fait bon se glisser parmi les convives et savourer ses interventions pétillantes comme on s’attarderait sur la couleur d’un vin, son nez et sa meilleure association avec un mets. Le régime attendra un peu !

Il faudra qu’on nous pardonne cette conclusion un peu triviale, pour ne pas dire en forme de saillie, mais il ne fait aucun doute que Montagnes russes est un disque avec lequel on pourra tranquillement s’envoyer en l’air ! Aucun risque de chute désagréable, pas le moindre haut-le-cœur dans les passages les plus rapides : avec Daniel Zimmermann, c’est tout pour le plaisir de célébrer. Sa musique est… trombone pour qu’on s’en prive !