Chronique

Daniel Zimmermann

Bone Machine

Daniel Zimmermann (tb), Maxime Fougères (g), Jérôme Regard (b), Julien Charlet (dms), Lionel Ségui (tb basse).

Label / Distribution : Abeille Musique

Un petit coup de blues ? Le moral en berne ? Halte là, la Bone Machine de Daniel Zimmermann est faite pour vous ! Surtout ne pas se laisser impressionner par la mine patibulaire que le tromboniste affiche sur la pochette, ni même par le squelette préhistorique aux défenses menaçantes à l’arrière-plan [1], car ce disque déborde de vie : mieux, il est parcouru du début à la fin par un frisson irrésistible qui balaie tout sur son passage et claque au vent du jazz comme un fier étendard. Une belle leçon d’enthousiasme !

Il faut dire que Zimmermann n’est pas le premier venu : un rapide coup d’œil sur son parcours des dix dernières années donne une idée de la gourmandise avec laquelle il a engouffré différentes recettes musicales qui, jamais, n’ont manqué de goût. Il serait trop long d’en établir la liste, mais on peut citer quelques collaborations qui démontrent l’ouverture d’esprit du tromboniste : une tournée avec Claude Nougaro au début des années 2000, le groupe Spice Bones récompensé au Concours national de jazz de La Défense, un trio aux côtés d’Emmanuel Codjia et Vincent Peirani, le Sacre du Tympan de Fred Pallem, le quintet DPZ avec Thomas de Pourquery et son disque salué par la critique, des incursions au sein de formations prestigieuses, dont l’ONJ de Franck Tortiller, le MegaOoctet d’Andy Emler, le Pandemonium de François Jeanneau ou le septet de Jacques Vidal… Bref, rien que du très bon, et ce n’est là qu’un aperçu. Entre rock, reggae, chanson, musiques du monde, jazz et créations contemporaines, Daniel Zimmermann a pu exposer la générosité de son jeu onctueux, dont la fluidité tient de l’évidence. Autant le dire tout de suite, Bone Machine est à la hauteur de nos espérances ; mieux même, elle laisse entrevoir le potentiel d’une musique en pleine santé qui devrait s’afficher sur scène avec beaucoup d’éclat. En attendant, elle vit sur disque, vigoureuse et exaltée.

Entouré par un trio qui est à la musique ce que la cuisson al dente est à la dégustation des pâtes fraîches, Zimmermann peut laisser sa musique s’épancher. On prend un plaisir immédiat à le laisser répandre la chaleur et la bonhomie indispensables à l’éclosion de son répertoire, soit huit compositions nourries de thèmes frappés au coin d’une fausse simplicité qui est la marque des grands. Autant d’histoires infiltrées par les pulsions entêtantes de la paire Jérôme RegardJulien Charlet, impeccables dans leur travail de propulsion (les quatre minutes de « Schizophrenia » en sont une illustration). Zimmermann prend le parti – une fois réalisé l’enregistrement de la rythmique et des parties de trombone solo – de démultiplier son instrument en ajoutant des voix complémentaires (soit les siennes, soit celle du trombone basse de Lionel Ségui sur deux des huit titres du disque). C’est donc une formation étoffée qui entre en action, un orchestre aux quatre trombones et aux formes mouvantes à souhait : il peut être tapis de velours aux couleurs parfois nostalgiques (« Nos funérailles », « Open Letter To Charles ») ou porteur d’un groove contagieux (« Flying pachydermes », « Reggatta de Bones », « Taxi Noche en Yaoundé », « Komodo Dragons Attack Wall Street ») ; il ouvre les vannes de l’imagination et des improvisations toujours justes. Limpide et chaleureuse - on serait tenté de dire « sobrement électrique » - la guitare de Maxime Fougères fait écho au phrasé fluide de Zimmermann, dont l’agilité et la souplesse ne sont pas les moindres des qualités. Lui qui connaît sur le bout des pistons les subtilités des timbres aigres-doux, n’oublie jamais de chanter et d’enjoindre sa petite chorale d’entonner avec lui de joyeux refrains. Car ce qui apparaît avant tout ici, c’est l’idée que l’album est pour le quartet un point de rencontre naturel où la personnalité des musiciens s’affirme en toute sérénité, au service d’une recherche harmonique ludique et d’une verve mélodique de chaque instant.

Alors, Daniel Zimmermann et ses complices auraient-ils composé un cocktail… trombone pour être vrai ? Bien au contraire : il faudrait être un sacré rabat-groove pour rester insensible à sa dynamique. Bone Machine, c’est un concentré de vitamines, un cocktail juteux où se mêlent les saveurs du jazz, du rock, du funk et de la soul. À consommer sans modération et d’une seule gorgée… ou plutôt dans un seul souffle !

par Denis Desassis // Publié le 24 juin 2013

[1Ou comment mettre en scène un jeu de mots entre bone, diminutif de trombone, et bone qui signifie « os » en anglais.