Scènes

Festen passe en force par la Lorraine

Festen au Théâtre de la Manufacture de Nancy, pour le sixième rendez-vous de la saison au Manu Jazz Club.


Festen © Jacky Joannès

On pourrait déplorer un public plus clairsemé qu’à l’habitude pour le premier concert de Festen au Manu Jazz Club. Et nourrir quelques regrets en se disant que, décidément, il n’est jamais simple de programmer une affiche inédite, surtout lorsqu’elle annonce un groupe évoluant aux frontières du jazz et du rock. Avant de se dire qu’une fois encore, les absents ont eu tort et que toutes celles et ceux qui avaient choisi de venir n’ont pas regretté leur déplacement. Festen a fait une démonstration de puissance mise au service d’une musique de la concision. À coup sûr le meilleur concert de la saison.

Manu Jazz Club, terre de contrastes. Après les douceurs un peu (trop ?) sucrées de Lou Tavano au mois de mars, le Théâtre de la Manufacture accueillait Festen, dont le moins qu’on puisse dire est que ce quartet né voici sept ans a choisi, pour sa première incursion en Lorraine, de ne pas y aller par quatre chemins. Puisant essentiellement dans le répertoire de Mad System, son troisième disque Élu Citizen Jazz (mais aussi à deux reprises dans celui de Family Tree, son prédécesseur), le groupe a joué, avec une grande détermination, la carte devenue en quelque sorte sa marque de fabrique : puissance et concision mises au service de compositions laissant une part minimale aux interventions solistes. La rythmique est fiévreuse : Oliver Degabriele a définitivement troqué sa contrebasse pour une basse électrique propulsée par la batterie frénétique de Maxime Fleau. Jean Kapsa tourne le dos à ses petits camarades et officie au piano droit dans ce registre si particulier déjà mis en évidence un an auparavant lors d’un concert à Saint-Malo. Il y a chez lui une tentation très méditative, parfois sérielle, dont il s’échappe de temps à autre pour une envolée aux couleurs free. Damien Fleau quant à lui, pieds nus et très impliqué physiquement dans un jeu à la fois direct et lyrique, a définitivement laissé de côté son saxophone soprano pour se consacrer au ténor exclusivement, probablement parce que dernier est celui qui répond le mieux aux attentes de la musique de Festen.

Festen au Manu Jazz Club © Jacky Joannès

Les musiciens de Festen aiment à rappeler l’importance du rock dans leur processus de création et citent Nirvana, Pearl Jam (« Sometimes ») ou Queens Of The Stone Age (« My God Is The Sun »). Ils sont passionnés de cinéma et s’approprient des thèmes signés Hans Zimmer (« Day One ») ou Ennio Morricone (« Once Upon A Time In America »). Quant à leurs propres compositions, elles peuvent alterner moments de frénésie binaire, à bout de souffle (« Black Rain ») et instants plus recueillis, tel ce « We Are » écrit après les attentats de Paris en novembre 2015. Dans tous les cas, c’est le sentiment d’un combat qui prédomine, un engagement sans faille qui, de mois en mois, affirme l’identité de Festen. Un quatuor qui a su trouver la formule d’une alchimie mêlant l’énergie débridée du rock et les élans beaucoup plus libres du jazz. Mais en prenant toujours le soin d’éviter les bavardages.

Damien Fleau, Jean Kapsa, Oliver Degabriele et Maxime Fleau ne manquent pas de projets. Avec Festen, ils travaillent à un prochain disque d’ores et déjà annoncé, qui s’inspirera de la musique des films de Stanley Kubrick (dont « Spartacus » joué à Nancy et qu’on a pu découvrir sur une vidéo). Dans un tout autre registre, les deux frères sont par ailleurs membres du trio Cheikh Sidi Bemol, emmené par Houcine Boukella, qui vient de publier une remarquable Odyssée de Fulay [1] célébrant des chants berbères antiques. On pourra aussi évoquer le duo Kast, mené par Damien Fleau et la chanteuse Sophia Laizeau, et son album électro-pop More And More disponible depuis peu. Sans oublier le très beau trio Kapsa-Reininger-Fleau, évoqué ici à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de la sortie du disque La ligne de Kármán. Ni tout le travail accompli par Oliver Degabriele au sein d’Oxyd et du collectif Onze Heures Onze. Voilà une poignée de trentenaires qui ont décidé de faire bouger les lignes et de nous rappeler ce que disait John Cage : « Dans un Musicircus, il est loisible de rapprocher les unes des autres toutes les musiques qui sont ordinairement séparées ». Festen était en première ligne au Manu Jazz Club, ce dont chacun se sera félicité : Nancy se souviendra de son passage en force et se sent prête à les accueillir de nouveau dès que l’occasion se présentera.

La discographie de Festen :

Bonus vidéo : Festen sur la scène du Manu Jazz Club, pour le final de « In Motion » joué en rappel.