Chronique

Flash Pig

Year Of The Pig

Maxime Sanchez (p), Adrien Sanchez (ts), Florent Nisse (b), Gautier Garrigue (dms).

Label / Distribution : Nome

La recette du Flash Pig est somme toute assez simple : prenez trois quarts du quartet de David Enhco, mélangez avec deux tiers du trio Kepler et vous obtiendrez un plat de résistance – c’est bien le mot ! – dont les arômes, pour savoureux et longs en tête qu’ils soient, ne s’en trouvent pas moins modifiés par comparaison avec les promesses nées de leur découverte en 2014 avec Remain Still, puis en 2016 avec le deuxième album éponyme du groupe.

En effet, Year Of The Pig, troisième chapitre de l’histoire musicale écrite par les frères Sanchez (Maxime au piano et Adrien au saxophone) entourés d’une paire rythmique tout en autorité composée de Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie, se distingue de son prédécesseur [1] par une volonté revendiquée de ralentir le mouvement dès que faire se peut, et d’accéder à ce calme qui fait si cruellement défaut à notre monde en mouvement perpétuel.

L’évocation, un peu plus haut, de Kepler, une formation au sein de laquelle s’illustrent les jumeaux Sanchez, est essentielle puisque ces derniers y côtoient Julien Pontvianne, musicien adepte des beautés calmes doublé d’un être humain accordant une place importante au silence. Le saxophoniste s’inspire, entre autres, des écrits du philosophe américain Henry David Thoreau, chantre de la vie simple menée à l’écart de la société. Cette proximité des deux formations nous fait comprendre que Flash Pig et Kepler ont en commun ce qu’on pourrait qualifier d’« éloge de la lenteur ». C’est une évolution significative dans la musique du quartet qui arbore des couleurs dont les nuances intimistes et introspectives se trouvent renforcées, s’éloignant par là même d’une formule jazz traditionnelle.

Ralentir le tempo de sa musique, donc, à l’image de la longue suite en quatre mouvements « Year Of The Pig » signée Maxime Sanchez. Soit près de 25 minutes en ouverture du disque, dont chacun des mouvements est consacré à un animal caractérisé par la lenteur : ainsi, l’astérie qui est une étoile des mers ; le monstre de Gila, une variété de lézard venimeux ; le lamantin, gros mammifère marin et l’Aï, dont l’autre nom est le paresseux.

Mais attention, ce calme dissimule à peine une fièvre sous-jacente : car si Flash Pig élabore une musique le plus souvent pacifiée, héritière pour partie sans doute de la retenue d’un Paul Motian, ses musiciens sont en quête d’élévation dès que le rythme s’accélère. Ils ont en commun un langage d’une réelle beauté formelle parce qu’habité, parce que chaque note compte. À ce petit (ou grand) jeu, le saxophone d’Adrien Sanchez fait merveille, qu’il murmure dans un souffle ténu (« Astérie »), échafaude de douces harmoniques (« Le monstre de Gila »), engage un duo fiévreux avec la batterie de Gautier Garrigue (« Aï ») ou s’évade vers des contrées virtuoses aux accents caribéens, en parfaite harmonie avec son frère (« Torx ») dont l’étendue du jeu, tout au long du disque, est impressionnante. On pourra d’ailleurs se souvenir que Maxime Sanchez fut récemment à l’honneur de la Thelonious Monk Institute of Jazz International Piano Competition. Ce n’est pas rien…

La sérénité de Flash Pig – dans un ailleurs entre profondeurs marines et forêts mystérieuses – mise en exergue dès les premières notes de « Astérie » sera aussi celle de la conclusion de Year Of The Pig avec une composition dont le titre est… « Kepler ». Pour mémoire, Kepler était un astronome ayant vécu au XVI-XVIIe siècle. Il avait découvert les relations mathématiques (dites Lois de Kepler) régissant les mouvements des planètes sur leur orbite. Ces relations furent ensuite exploitées par Isaac Newton pour élaborer la théorie de la gravitation universelle. On n’est donc guère surpris que Flash Pig ait choisi de rendre hommage lui aussi à ce scientifique en composant un thème qui manifeste cet état de suspension qui traverse le disque de part en part.

Dans l’horoscope chinois, 2019 est l’année du cochon. Et par ici, tout porte à croire qu’elle pourrait aussi être celle de l’avènement de Flash Pig. C’est tout le mal qu’on souhaite à ce quartet décidément très attachant.

par Denis Desassis // Publié le 10 juin 2019

[1Auquel Manu Codjia, Émile Parisien et Pierre de Bethmann étaient venus apporter leurs propres couleurs.