Scènes

Nancy Jazz Pulsations 2012

Retour en 15 temps, pour un total de 20 concerts (le festival en ayant proposé 143), sur des soirées qui, pour l’essentiel, nous ont réservé de très beaux moments de musique vivante.


La 39e édition du festival aura été, selon Patrick Kader son directeur, plutôt réussie, malgré une météo hostile qui a fortement contrarié la tenue de « Pépinière en fête », soumise à de multiples annulations en raison de la pluie. Un malheureux dimanche après-midi entier ouvert au public dans le parc du même nom, celui-là même qui abrite le légendaire Chapiteau. Malgré, aussi, un creux de fréquentation au début de la deuxième semaine. Problème d’ordre économique ? De programmation ? Difficile de répondre, il faudra analyser plus finement le phénomène dans les semaines à venir, mais les organisateurs de NJP ont le sourire en évoquant les 40 ans que le festival fêtera en 2013, du 9 au 19 octobre, avec pour fil rouge la Nouvelle-Orléans. A cette occasion, cette manifestation « qui se veut populaire mais pas populiste » devra probablement recevoir un soutien plus fort des collectivités locales, pour pouvoir accueillir de belles têtes d’affiche mais aussi pour aller dans le sens d’une modération des tarifs.

Nous n’en sommes pas encore là et lors de son point presse final, Patrick Kader a tenu à rappeler que Nancy Jazz Pulsations est un événement qui rayonne bien au-delà des salles de concerts, en impulsant des actions artistiques en direction de publics ciblés (vers les publics scolaires, dans les quartiers, les hôpitaux et les établissements spécialisés), par la mise en œuvre d’ateliers et de résidences artistiques, d’expositions de photographies ou de séances de cinéma. Et puis, les chiffres sont là, qui prouvent la réalité de ces dix jours : une fréquentation globale estimée à 75 000 personnes ; 28 000 entrées aux concerts, dont 16 800 pour le seul Chapiteau de la Pépinière, soit 1 800 de plus qu’en 2011.

NJP, c’est désormais un réseau de salles à l’identité bien affirmée : l’Autre Canal présente une couleur plutôt électro-pop, le Hublot se tourne vers le rock ou le blues, la Fabrique est réservée aux apéros jazz, le Théâtre de la Manufacture est l’hôte privilégié du jazz, la salle Poirel accueille la chanson. Le chapiteau, quant à lui, est plus mixte, entre world, reggae et jazz plus « grand public ». L’Opéra, comme chaque année, joue à guichets fermés, le temps d’une soirée dite « de prestige ». Baptiste Trotignon devait y partager l’affiche avec Ahmad Jamal dont le désistement a permis au pianiste en robe de chambre Gonzales de s’illustrer avec un show que l’on présente comme drôle, et d’ironiser en passant sur le travail de son prédécesseur sur scène...

Pour notre part, nous avons privilégié le Théâtre de la Manufacture... parce qu’il faut bien se résoudre à faire des choix. Ce qui ne nous a pas empêchés de nous glisser sous le Chapiteau de la Pépinière ou à la Fabrique, le temps d’un concert apéritif. Mais impossible d’être partout… C’est donc le feeling qui a guidé nos rencontres. Melody Gardot, Sébastien Tellier, Camille et quelques autres ne nous en voudront pas de leur avoir préféré des artistes parfois moins renommés...

Retour en 15 temps, pour un total de 20 concerts (le festival en ayant proposé 143), sur des soirées qui, pour l’essentiel, nous ont réservé de très beaux moments de musique vivante.

Rosette [1]

Imaginez trois sales gamins en bermuda qui auraient décidé de renverser leur coffre à jouets sur scène… Un vrai bazar. Ça commence comme ça, chez Rosette… Quant à la musique du trio, c’est un condensé foutraque de world, punk, rap et jazz (et peut-être plus) qui fait feu de toute cette panoplie hétéroclite. Instruments en plastique, ruban adhésif, ballons gonflables, débouche-évier, tout est bon pour déverser une énergie débridée. Il arrive aussi que les musiciens sollicitent leur propre corps, le temps d’une brasse coulée au sol ou d’un grand écart. Pas sûr que le disque puisse rendre compte de cette démonstration un peu foldingue, mais le concert est assurément son meilleur vecteur, voire le seul possible.

Daniel Humair

Daniel Humair New Reunion [2]

Encore sous le charme de son récent Sweet & Sour, on a plaisir à respirer la musique vivante de Daniel Humair. Car il s’agit bien d’une matière organique en constante ondulation, un formidable terrain d’invention (é)mouvante pour Emile Parisien, Manu Codjia (remplaçant Vincent Peirani indisponible) et Jérôme Regard, jeune garde rapprochée pourvoyeuse de climats changeants. Le quartet, en éveil constant, s’appuie sur quelques compositions du dernier disque (« Schubertauster », « A Unicorn In Captivity »…), mais s’approvisionne aussi chez les amis, Joachim Kühn ou François Jeanneau par exemple. La gestuelle de Daniel Humair, alliage harmonieux de précision, de puissance et de légèreté, est un spectacle à elle seule et éclabousse le public conquis de ses syncopes épicées. A 74 ans, le batteur helvète rayonne. Il n’est pas interdit de penser que NJP 2012 aura commencé par un de ses temps forts.

Tony Tixier 4tet [3]

Voilà ce qu’on appelle un rendez-vous manqué. Le quartet de Tony Tixier, pourtant jeune et en quête de rêve (son disque s’intitule Dream Pursuit), s’est pris les pieds dans le tapis d’une musique trop appliquée, trop raide, qui plus est mal servie par une sonorisation effaçant le piano et la contrebasse. Les musiciens peinent à entrer en contact avec le public, tout particulièrement Logan Richardson qui semble aux abonnés absents ; Gautier Garrigue doit frapper fort pour réveiller un quartet transparent. Rien n’y fait, l’énergie ne circule pas. Une reprise en trio de Bob Marley, sans saxophone, entretiendra l’espoir mais de façon fugitive seulement. On ressent un malaise auquel les musiciens eux-mêmes n’échappent pas. Un début de frémissement, bien trop tardif, finira tout de même par faire circuler ses ondes dans le public au moment du rappel : enfin, les quatre musiciens se libèrent, appelant Coltrane à la rescousse pour quelques mesures de « Some Other Blues ». Un goût d’inachevé.

Enrico Rava [4]

Enrico Rava

La dernière production d’Enrico Rava (On The Dance Floor, consacrée à Mickael Jackson) peut laisser sceptique. Mais pas Tribe, le magnifique disque qui l’a précédé. C’est cette formation qui se présente sur scène, un quintet noueux qui va submerger la salle dans une étrange symphonie liquide et habitée, dont l’énergie à la fois sereine et désenchantée affleure constamment. Ici ou là, souffle l’esprit de Nino Rota et d’un certain art de la conversation à l’italienne ; le jeu introspectif de Giovanni Guidi, toujours sur le fil du déséquilibre, évoque Cecil Taylor ; le trombone impétueux de Gianluca Petrella et la trompette de Rava, plus suave, entretiennent un dialogue gourmand nourri au grain d’Ornette Coleman. Avant même de saluer la prise de risque et la virtuosité d’une interprétation fiévreuse, c’est une quête permanente de la liberté qu’il faut surligner dans cette musique. Un grand monsieur est passé ; avec lui étaient présents, en filigrane, près de cinquante ans de l’histoire du jazz, avec ses conquêtes les plus nobles.

Das Kapital [5]

L’Europe comme on l’aime. Un Allemand, un Danois et un Français dynamitent la musique de Hanns Eisler, qui fut en son temps le compositeur de l’hymne de la RDA et dont l’association avec Bertolt Brecht a donné lieu à un imposant catalogue de chansons. Pédagogues souriants, les trois musiciens prennent le temps d’expliquer les histoires qu’elles racontent avant d’en livrer leur version iconoclaste. Et là, c’est l’explosion : Edward Perraud, génial Géo Trouvetou des percussions, est à lui seul un étourdissant feu d’artifice ; les dissonances graciles de Hasse Poulsen viennent se lover dans les textures faussement suaves du saxophone de Daniel Erdmann. Très vite, le public est conquis. Das Kapital est une petite unité dont l’autonomie et la singularité sont des plus réjouissantes, et sa fraîcheur est intacte après dix années d’existence.

Thomas Enhco Trio [6]

Thomas Enhco

Visiblement ému d’être là et d’annoncer la sortie imminente de Fireflies, son troisième disque en trio, le pianiste Thomas Enhco semble à peine émerger de l’enfance. Très jeune malgré un parcours déjà long - il n’a que 24 ans – et formé à l’école classique, il n’en est pas moins adepte du cross over et des échappées vers le groove. Si sa relation presque romantique à l’instrument, son art de la fugue et l’amplitude de son jeu ne laissent aucun doute sur les réminiscences qui le nourrissent, on entend chanter chez lui des mélodies vite entêtantes, une quête de la liberté aux couleurs post-impressionnistes. Épaulé par une rythmique complice – l’impeccable Chris Jennings à la contrebasse et le camarade d’enfance Nicolas Charlier à la batterie – le pianiste est néanmoins celui qui capte la lumière, celle des lucioles qui lui font un halo charmeur ; il réussit une opération de séduction qui devrait lui attirer un public dépassant celui du jazz. À suivre de près, car Thomas Enhco n’a écrit que les premières pages de sa belle histoire…

cE2 [7]

Régionaux de l’étape ? Certes, mais cette coïncidence géographique ne saurait à elle seule justifier la présence de cE2 à l’affiche de Nancy Jazz Pulsations. Pour leur premier passage au festival, Gaël Le Billan, Mathieu Loigerot et Jean-Marc Robin se sont affirmés en réalisateurs inspirés d’une généreuse bande-annonce aux intonations un peu nostalgiques. En convoquant les Polars de Jean-Pierre Melville, Claude Sautet ou Henri Verneuil ainsi que leurs musiques (Paul Misraki, Michel Colombier, Ennio Morricone, Eric Demarsan), le trio déjoue avec habileté une partition souvent en noir et blanc, dont les mélodies appartiennent désormais à notre patrimoine. Portée par une mise en son parfaite, sa prestation réjouissante et très chantante - bel écho au disque sorti avant l’été - a distillé pour nous la fraîcheur de son jazz élégant filmé en noir et blanc.

Gregory Porter [8]

Le géant cagoulé a fait le plein et ce n’est que justice. Gregory Porter, c’est la voix d’une âme qui s’offre à nu, habitée d’une vibration dont la contagion est instantanée. Dans le sillage de Be Good, son dernier disque en date, sur lequel souffle l’esprit de Bill Withers et de Marvin Gaye, le chanteur a soulevé d’un bonheur simple une salle avide et conquise d’avance. Entouré d’un quartet dont le professionnalisme très américain n’a pas nui à la spontanéité du concert - tout juste notera-t-on le caractère systématique, voire répétitif, des interventions furieuses de Yosuke Sato au saxophone alto - Porter n’est jamais pris en défaut d’humanité. Il y a quelque chose d’universel, comme une marque indélébile dans cette soul music généreuse qui nous raconte notre propre histoire, au-delà des modes et leurs futilités. Un excellent antidote à la grisaille ambiante, un remède pour affronter le quotidien.

Electrico [9]

La Fabrique, qui jouxte le Théâtre de la Manufacture, pourrait être un vrai club de jazz à Nancy (qui en manque cruellement). Quelques jours plus tôt, la saxophoniste Céline Bonacina avait conquis le public… Ce soir, trois amis ont convié le public à découvrir un nouveau projet baptisé Electrico et dont le premier disque est annoncé en 2013 : Pierre-Alain Goualch, Diego Imbert et Franck Agulhon. Au-delà de la complicité qui unit depuis bon nombre d’années ces artistes aguerris, il faut saluer une vraie prise de risque : cette musique, loin de caresser dans le sens du poil un jazz tranquille, va chercher ailleurs son inspiration et n’hésite pas à nous bousculer dans notre confort. Elle repose avant tout sur de courts motifs que le trio expose avant de les triturer pour les déformer (parfois au moyen d’effets couplés aux claviers), les répéter et les modeler encore. Avec un grand sourire ! Electrico, c’est un peu l’histoire d’une sculpture sonore vivante, d’une conversation animée sur le fond comme sur la forme. C’est la musique comme on l’aime : vivante, naturelle et spontanée.

Limousine invite Yodh Warong [10]

Ni jazz, ni rock, ni pop… Juste ailleurs, la musique de Limousine est comme la bande son d’un film nocturne et urbain. Il y a quelque chose d’un peu glacé et hypnotique dans l’esthétique planante de ces séquences où le minimalisme zen peut vite céder la place à une urgence plus électrique. Le quatuor invitait pour l’occasion Yodh Warong, un des grands spécialistes de la tradition thaïlandaise qu’on appelle le molam, et qui joue tour à tour d’une guitare (pin), d’un orgue à bouche (khên) ou d’un xylophone (ponglang). Si le groupe n’a pas toujours réussi à réduire la distance entre sa musique et le public (peu nombreux il est vrai), on retiendra des instants magnifiés : plusieurs chorus bouleversants et hantés de Laurent Bardainne au saxophone ténor ; un magnifique duo de cordes entre Maxime Delpierre et Yodh Warong, pour une conjugaison de leurs instruments au plus-que-parfait. Limousine va continuer à creuser son sillon asiatique, et c’est une piste à suivre.

Pierrick Pédron “Cheerleaders” [11]

Pierrick Pédron

Son magnifique Kubic’s Monk à peine débarqué dans les bacs, Pierrick Pédron revient à NJP conter les rêves électrisants de sa drôle de majorette, qui se réveille parfois en se croyant transformée en brochet. Cheerleaders, faisant suite à Omry, d’inspiration voisine, est une œuvre ambitieuse en ce qu’elle veut fusionner toutes les musiques qui hantent le saxophoniste : jazz bien sûr, mais aussi, par exemple, le rock progressif qui a bercé ses jeunes années. Devant le public malheureusement clairsemé du Théâtre de la Manufacture (on n’ose croire que les pitreries « marketées » et un brin condescendantes de Gonzales, qui fait le plein à l’Opéra de Nancy au même moment, puissent être à l’origine de cette désaffection partielle), Pierrick Pédron fait briller de mille feux cuivrés sa belle histoire, soutenu en cela par une équipe de haute volée. Le groupe réussit d’autant mieux dans cette entreprise singulière qu’il bénéficie d’une impeccable prise de son. Un moment rare, qui aurait mérité une exposition beaucoup plus forte tant la puissance dégagée était celle d’une certaine vérité : celle de l’humain. Pédron est un grand. Il reversait en outre pour l’occasion son cachet au profit de la recherche contre les maladies neurodégénératives [12] : la grande classe, en somme ! Les absents ont vraiment eu tort, car les autres avaient les yeux pleins d’étoiles… Avis aux oublieux : le groupe proposera une séance de rattrapage en formation élargie le 19 janvier 2013 à Épinal !

Trio Enchant(i)er [13]

Les Lorrains du Trio Enchant(i)er ont choisi une voie escarpée, celle d’une musique qui s’affranchit le plus souvent de toute ligne mélodique claire pour gagner des espaces plus bruitistes, nerveux et syncopés, aux confins du free. A plusieurs reprises, on pense à, par exemple, Michel Portal dans les années 70. Mais la formation, pas encore parvenue à maturité, semble chercher son identité : avec l’expérience, l’écriture la conduira à plus de spontanéité et moins de raideur dans l’exécution. Il faut toutefois reconnaître au Trio sa première qualité : celle qui consiste à chercher. Et puisqu’il est question de « Berceuse euclidienne » ou de masse dans les titres de ses compositions, souhaitons-lui de résoudre ses propres équations dans un avenir proche.

Rudresh Mahanthappa [14]

Rythmique surpuissante propulsée par un Gene Lake au drumming foisonnant et frénétique (il est sans nul doute de l’école des Billy Cobham et autres Michael Walden), guitare nerveuse et véloce de David Gilmore (à ne pas confondre avec Gilmour, bien sûr) : deux atouts maîtres qui ont permis au saxophoniste Rudresh Mahanthappa – qu’on connaît aussi pour son travail aux côtés du pianiste Vijay Iyer - de déployer avec faste les couleurs d’un univers où on retrouve, par son élévation, à la fois l’urgence spirituelle de Mahavishnu Orchestra et la démarche sans frontières, plus expérimentale, de Weather Report. Puisant principalement parmi les compositions de Samhdi, son récent disque, Mahanthappa – saxophone alto en fusion, parfois co-piloté à l’ordinateur – réalise un passage en force brillant, comme en un seul souffle virtuose. Son assimilation des genres, qu’on peut qualifier de jazz funk rock, est relevée par des fragrances indiennes vite enivrantes et des métriques hypnotiques. Une proposition altière, qui jamais ne tombe dans le piège d’une froideur instrumentale trop démonstrative. « For All The Ladies », composition finale du disque mais aussi du concert (avant le rappel), apporte à la soirée sa nécessaire part d’émotion, voire de romantisme. Nancy Jazz Pulsations tenait là une belle affiche – proposée à un public malheureusement clairsemé, une fois de plus – un alliage de puissance et d’élégance qu’on retiendra comme un des moments les plus énergisants de son édition 2012.

Roberto Fonseca / Filewile / Robin McKelle / Bernhoft [15]

Drôle de soirée... Quatre concerts d’une heure – c’est peut-être un de trop, la programmation du soir tend à le prouver - enchaînés à grande vitesse pour une affiche un peu hétéroclite. On ne peut qu’encourager les tentatives de mélange des genres : elles sont toujours une bonne occasion d’ouvrir la porte d’un univers à l’autre mais, avouons-le, la mayonnaise n’a pas pris. Essentiellement parce qu’en deuxième partie, l’électro un peu nigaude et assourdissante de Filewile, augmenté de deux chanteuses invitées, cachait sous un volume sonore à la limite du supportable une vacuité qui ne laissera pas la moindre trace dans les mémoires. Et qui pousse une grande partie du public à trouver refuge au bar.

Robin McKelle, de son côté, présente son show très professionnel. Entourée des Flytones, un orchestre totalement acquis à sa cause, la chanteuse et son rhythm’n’blues trépidant recueillent les suffrages du public. Allez savoir pourquoi, cette performance scénique laisse un peu indifférent. Pourquoi cette sensation paradoxale de distance et de froideur ? Peut-être parce que tout cela est mis en scène comme un… show, justement. Show et froid, donc...

Bernhoft
Les extrêmes peuvent avoir également raison, c’est une des différences entre la politique et la musique : le pianiste cubain Roberto Fonseca qui ouvre la soirée a invité le chanteur malien Baba Sissoko. Bien lui en a pris car le mariage est harmonieux et les percussionnistes Ramsés Rodriguez et Joel Hierrezuelo s’en donnent à cœur joie. Fonseca, dont le style est lui-même très convulsif et nourri de rythme, va parfois jusqu’à citer Bach le temps d’une courte fugue. Une chaleureuse démonstration des vertus du brassage des cultures, avec pour conclusion un joyeux « Bibisa » repris en chœur par le public. Belle entrée en matière.

Dernier à se produire, le chanteur norvégien Bernhoft, armé de ses guitares, de son clavier et d’un pédalier générateur de samples, de boucles et de superpositions qui sont pour lui un véritable orchestre. La voix va parfois se percher très haut, les mains frappent la caisse de la guitare, ajoutant ainsi un nouvel instrument. Il y a dans la musique de Bernhoft un groove sincère, une énergie non feinte qui fait du bien à entendre. Reste à savoir comment sa petite entreprise, chaleureuse à souhait, évoluera avec les années, sans trop de répétition. On veut lui faire confiance.

Guillaume Perret & The Electric Epic / Mike Stern & Didier Lockwood Band / Marcus Miller [16]

Attention, danger ! Dire que le Chapiteau de la Pépinière est plein relève ce soir de l’euphémisme. Après la soirée de la veille, elle-même très dense, et de plus organisée pour la première (et probablement la dernière) fois dans l’histoire du festival sous la forme de deux concerts distincts, dont le premier réservé à la très médiatique Melody Gardot, l’ultime soirée est placée sous le signe de la foule. L’affiche de clôture est prometteuse, en effet, et s’annonce très chargée en électricité.

Guillaume Perret

Guillaume Perret, flanqué de son Electric Epic, ouvre le bal et n’y va pas de musique morte : sa prestation d’une heure est un déferlement continu, une tempête comme on en a peu connu depuis de longues années. On pense parfois, parce que cette musique a quelque chose d’une gifle, à la dernière partie du concert de Pain Killer en 2006, lors de la soirée consacrée à un autre saxophoniste de l’extrême, John Zorn. Pas étonnant que ce dernier ait repéré Guillaume Perret au point de le signer sur son propre label, Tzadik. Poussé par la basse hyper-puissante de Philippe Bussonnet, la frappe lourde de Yoan Serra et la guitare très électrique de Jim Grandcamp, le saxophoniste multiplie les effets électroniques pour malaxer la sonorité de son instrument jusqu’à le rendre méconnaissable, mais toujours nimbé d’un halo dévastateur et mystérieux. C’est un concert en forme de cri, un appel puissant à rester en éveil. Les spectateurs les plus timorés quittent la salle... Ils seront très peu nombreux à fuir, finalement, tant la prestation de l’Electric Epic écrase de sa force surnaturelle une salle abasourdie et prête à se laisser bousculer. Perret, maître à bord d’une sacrée embarcation, joue très fort une sorte de jazz rock hard core dont la radicalité, si elle peut en dérouter quelques-uns, est étourdissante. Un des chocs de cette édition 2012.

Avec une telle introduction, la paire Mike Stern / Didier Lockwood n’avait plus qu’à propulser avec ferveur son jazz fusion vers sa propre stratosphère. Un pari qu’on peut considérer comme gagné dans la mesure où le public s’est laissé transporter par ces deux stars (souvenons-nous que le guitariste a travaillé aux côtés de Miles Davis) et leurs longs dialogues d’instrumentistes virtuoses et complices. Mais un pari un peu raté, aussi. Parce qu’une fois achevée la chevauchée électrique, quelques minutes après la fin d’un concert brillant, il ne reste pas grand-chose de cette confrontation au grand galop par ailleurs amicale et, redisons-le, agréable aux oreilles. Un peu comme un chewing-gum dont le goût s’évanouit trop vite.

Didier Lockwood

Marcus Miller, habitué du festival – il en avait déjà conclu l’édition 2010 – est arrivé précédé d’une horde de guitares basses trônant fièrement sur scène bien avant qu’il n’y monte lui-même. Le roi du slap – ancien compagnon de route de Miles Davis et principal compositeur de Tutu - est resté fidèle à sa réputation ; il joue pendant plus d’une heure et demie le répertoire funk tiré de son récent Renaissance. Gros son, grand sourire (le bonhomme est sympathique, il fait l’effort de s’exprimer longuement en bon français), groupe très professionnel... Voilà une machine rodée dont l’interprétation, pour magistrale qu’elle soit, manque un peu d’âme et de nouveauté. Un concert sympathique, mais tout cela tourne rond, comme une mécanique bien huilée, mais aussi en rond. Le public a adoré, c’est peut-être l’essentiel.

Slap de fin. Rendez-vous en 2013, du 9 au 19 octobre, pour fêter le 40e anniversaire du festival sous le signe de la Nouvelle-Orléans.

par Denis Desassis // Publié le 5 novembre 2012
P.-S. :

Pour aller plus loin, une sélection discographique :

[1Mercredi 10 octobre – Théâtre de la Manufacture / Sébastien Coste (saxophone), Camille Perrin (contrebasse), Michel Deltruc (batterie).

[2Mercredi 10 octobre – Théâtre de la Manufacture / Daniel Humair (batterie), Manu Codjia (guitare), Emile Parisien (saxophones), Jérôme Regard (contrebasse).

[3Jeudi 11 octobre – Théâtre de la Manufacture / Tony Tixier (piano), Logan Richardson (saxophones), Burniss Earl Travis (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie).

[4Jeudi 11 octobre – Théâtre de la Manufacture / Enrico Rava (trompette), Gianluca Petrella (trombone), Giovanni Guidi (piano), Gabriele Evangelista (contrebasse), Fabrizio Sferra (batterie).

[5Vendredi 12 octobre – Théâtre de la Manufacture / Daniel Erdmann (saxophone), Hasse Poulsen (guitare), Edward Perraud (batterie).

[6Vendredi 12 octobre – Théâtre de la Manufacture / Thomas Enhco (piano), Chris Jennings (contrebasse), Nicolas Charlier (batterie).

[7Samedi 13 octobre – Théâtre de la Manufacture / Gaël Le Billan (piano), Mathieu Loigerot (contrebasse), Jean-Marc Robin (batterie).

[8Samedi 13 octobre – Théâtre de la Manufacture / Gregory Porter (chant), Chip Crawford (piano), Aaron James (contrebasse), Emmanuel Harrold (batterie), Yosuke Sato (saxophone alto).

[9Lundi 15 octobre - La Fabrique / Pierre-Alain Goualch (piano, Rhodes, effets), Diego Imbert (contrebasse), Franck Agulhon (batterie).

[10Lundi 15 octobre - Théâtre de la Manufacture / Laurent Bardainne (saxophone), Maxime Delpierre (guitare), David Aknin (batterie), Frédéric Soulard (claviers), Yodh Warong (ponglang, pin, khên).

[11Lundi 15 octobre - Théâtre de la Manufacture / Pierrick Pédron (saxophone alto), Laurent Coq (piano, Rhodes), Vincent Artaud (basse), Chris De Pauw (guitare), Fabrice Moreau (batterie).

[12Dans le cadre du Brain Festival

[13Mardi 16 octobre - Théâtre de la Manufacture / Grégory Sallet (saxophones), Olivier Jambois (guitare), Kevin Lucchetti (batterie).

[14Mardi 16 octobre - Théâtre de la Manufacture / Rudresh Mahanthappa (saxophone), David Gilmore (guitare), Rich Brown (basse), Gene Lake (batterie).

[15Mercredi 17 octobre – Chapiteau de la Pépinière.

[16Samedi 20 octobre – Chapiteau de la Pépinière.