Scènes

Orchard, d’ici et d’ailleurs…

Nancy Jazz Pulsations – Chapitre 8. Jeudi 19 octobre, L’Autre Canal. Les 20 ans du label « Ici, d’ailleurs… » avec Orchard, Zëro + Virginie Despentes et Béatrice Dalle, The Third Eye Foundation, Chapelier Fou.


Orchard © Jacky Joannès

Nancy Jazz Pulsations fêtait hier les 20 ans du label « Ici, d’ailleurs… » fondé par Stéphane Grégoire. Pour cette soirée à l’Autre Canal, une programmation chargée et l’occasion de vérifier in vivo tout le bien qu’avait pu inspirer Serendipity, le premier disque d’Orchard, un quartet réuni dans le cadre d’une série intitulée Mind Travels. Cette très bonne impression aura largement été confirmée par un concert court et dense.

Le violoncelliste Gaspar Claus a tenu à le rappeler juste après la brève prestation du groupe Orchard dans la petite salle de l’Autre Canal : « Bon anniversaire au label Ici, d’ailleurs… qui fête ses 20 ans, alors qu’Orchard n’a que 40 minutes ». Un clin d’œil en forme de demi-mensonge, tout de même, puisque que le groupe a déjà enregistré Serendipity, un album publié au mois de septembre dans le cadre de la série Mind Travels.

Maxime Tisserand (Orchard) © Jacky Joannès

Revenons quelques instants sur la genèse d’une formation qui, on l’espère, disposera du temps nécessaire pour mener à bien toutes ses explorations. Orchard est une association réunie pour la première fois à l’initiative de Stéphane Grégoire : Aidan Baker (guitare, effets), Gaspar Claus (violoncelle), Franck Laurino (batterie) et Maxime Tisserand (clarinettes, effets), le régional de l’étape que nous avons récemment pu suivre au sein de l’Eclectik Percussions Orchestra de Guy Constant et ses prometteuses Traces de Vie, fruit d’une collaboration avec Oliver Lake. À ces protagonistes, il faut ajouter David Chalmin, compositeur producteur chargé de la réalisation du projet. L’histoire n’est pas si banale car ce petit monde a fait connaissance en entrant en studio, pour laisser ensuite libre cours à son imagination.

Enregistré à L’Autre Canal, l’album est d’une beauté ombrageuse. On pense parfois au Pink Floyd planant du début des années 70 (« Drawn With The Wind »), au travail obsédant de Richard Pinhas (« After All The Sun Is Awakening ») ; on est à tout moment happé par des paysages presque immobiles (dont les flottements évoquent le travail de Brian Eno et Robert Fripp), quand les instruments scandent une longue note, déploient des motifs cycliques ou laissent entendre ce qui pourrait n’être qu’un simple battement d’ailes (« A Day Staring At Ternity »). Dans un climat minimaliste où le temps s’étire à l’infini – y compris au long des deux seules compositions courtes du disque : « We Host You » et « Fructifiction » – Orchard (qui signifie « verger ») donne sa version de la sérendipité et de la place laissée au hasard dans une découverte. Ici, il s’agit à l’évidence d’un langage, aux confins du rock progressif et de l’ambient music, avec la liberté du jazz et né dans l’ébullition d’une rencontre. Voilà un inattendu dont les effets pourraient être plus durables que le seul temps de sa conception.

Sur scène, les musiciens sont plongés dans une semi-pénombre dont ils émergent au gré d’un jeu de lumière qui les expose tour à tour. Pas un mot, très peu de mouvements. La parole est superflue et la volonté d’instaurer un climat chargé de mystère est affirmée par une mise en scène à la fois sobre et nocturne. La couleur bleue domine, parfois nuancée de vert ou d’orange. Le public entre progressivement dans la petite salle où il reste debout, très silencieux. On pourrait parler de recueillement. Orchard pratique la superposition de nappes sonores, une agrégation de textures qui doit beaucoup aux effets d’Aidan Baker, concentré sur sa guitare et ses adjuvants électroniques. De part et d’autre de la scène, Maxime Tisserand et Gaspar Claus troublent l’apparente quiétude qui règne. Franck Laurino, lui, fournit la pulsion, mais sans jamais contrarier le calme ambiant. Comme le dit très justement Stéphane Grégoire : « Orchard est une invitation au voyage immobile, au ralentissement et à considérer le temps autrement ».

C’est exactement ce qui s’est joué hier soir. Orchard a su, en 40 minutes, imposer son univers propre, dont on ne sait s’il en émane sérénité ou inquiétude. Peut-être après tout faut-il y entendre une subtile imbrication des deux et comprendre cette musique comme une métaphore du monde qui nous entoure. Pouvons-nous vivre aujourd’hui sans craindre demain ? Une question existentielle qui justifie à elle seule ce désir exprimé par les quatre musiciens d’arrêter le temps.

Sur la platine : Serendipity (Ici, d’ailleurs… – 2017)