Scènes

Querbes, un soir en crescendo

Depuis l’an dernier, les Nuits et les Jours de Querbes ont transféré leur QG dans le village d’Asprières. Nous y étions le soir du samedi 6 août 2016.


Après les aléas climatiques de 2014, les organisateurs du festival Les Nuits et les Jours de Querbes ont cherché un site qui permette de donner des concerts à l’abri même en cas de déluge, un site assez grand pour disposer d’espace, assez petit pour qu’on puisse l’investir quasi totalement. Asprières, dans la grande banlieue de Querbes, était tout trouvé [1]. C’est donc, depuis l’an dernier, entre l’église et la salle des fêtes de cette localité de quelque 700 habitants que se déroulent les Nuits et les Jours. Ils n’ont pas pour autant changé de nom ni migré totalement, le hameau éponyme demeurant le centre névralgique de la « saison » avec les concerts et les lectures au coin du cantou [2].

2015 était l’année de l’apprivoisement d’Asprières : c’était un peu tâtonnant, comme si l’on créait de toutes pièces un nouveau festival. En 2016, les Nuits et les Jours semblent avoir pris leurs marques, mieux organisé l’espace, les circulations et les points de rencontre. Querbes revisited se rode et continue de vivre sur plusieurs sites : Decazeville le jeudi, Figeac le vendredi matin, Asprières vendredi et samedi, Capdenac-Gare le dimanche. Je n’ai pu venir que le samedi en fin d’après-midi, retenue par les préparatifs d’un autre festival voisin auquel je collabore.

La « contre-visite guidée » par les comédiens Jérôme Poulain et Monsieur Hervé emmène les spectateurs dans un inventaire des trésors dérisoires d’un village sur lequel régnerait un maire bienfaiteur à mi-chemin entre Balkany et Ceausescu. C’est amusant quoiqu’un peu prévisible.

Puis, premier concert avec le trio de Rémi Toulon. Trio isocèle s’il en est, où le batteur Jean-Luc Frache et le bassiste Mátyás Szandai (en remplacement de Bruno Rousselet, et qui paraît s’ennuyer ferme) sont là pour escorter le pianiste plus que pour l’accompagner. Un concert qui a divisé le public entre les enthousiastes et les « en rogne ». Ayant fait partie des seconds, je passe sans plus m’attarder au second concert qu’introduit un texte d’Agota Kristof lu par Eva Murin.

Sergio Gruz Quartet

Est-ce par contraste avec le précédent concert ? Le quartet de Sergio Gruz me fait l’effet d’une bouffée d’air frais. Le jeu fluide du piano et de la basse (Mátyás Szandai encore, mais cette fois dans un ensemble dont il est membre régulier), la pulsation soutenue et dansante de la batterie d’Antoine Banville installent d’emblée un groove subtil et une couleur harmonique personnelle, et le sax ténor de Ricardo Izquierdo apporte une densité très américaine qui n’est pas sans rappeler un David Sanchez. Il y a du Bill Evans chez Sergio Gruz, pianiste introspectif caché sous une casquette indévissable, qui émaille ses compositions, autant que ses commentaires, d’auto-dérision et de traits d’humour discrets mais sait aussi se montrer plein de punch.
La structure des morceaux paraît simple mais ne l’est pas tant que ça. Les chorus s’organisent comme une dialectique et répondent peut-être à des intentions précises, au-delà de la pure musique : dans « Ensemble », que Sergio Gruz introduit comme un morceau autobiographique illustrant les difficultés de communication d’un jeune couple franco-argentin, lorsque le sax paraît en faire trop et finir à court d’haleine, n’est-ce pas à dessein ?

On prend un verre au bar avec quelques amis, on dîne dehors près de l’église en commentant les deux concerts avec ses voisins de table, puis les plus noctambules d’entre nous reviennent à la salle des fêtes pour le dernier concert, celui qui commence juste un peu avant minuit.
Il y a des jours où il est bon d’être noctambule.
On a descendu le piano de la scène où il trônait tout à l’heure, et installé un coin tout en rondeur, les sièges en demi-cercle, pour un set qui s’annonce intimiste.
Et qui le sera. La musique de Louis Moreau Gottschalk, revisitée par Mario Stantchev et Lionel Martin dans un album que nous avons ELU au printemps, nous est ici offerte sans artifice, en acoustique, à hauteur d’humanité. Tirée vers un jazz qu’elle ne connaissait pas - et pour cause - mais pressentait, annonçait presque. C’est un délicieux récital à deux où Lionel Martin, en dépit de sa queue-de-pie très XIXe qui ne tardera d’ailleurs pas à tomber, retrouve avec bonheur une sobriété qui ne renie pas le lyrisme, et où Stantchev en pianiste amoureux marie ses influences classiques à un référentiel harmonique très actuel avec virtuosité, simplicité, humour et finesse. Leur dialogue est complice à souhait, hautement musical et gouleyant : on en redemande. Un excellent moment de musique et de jazz qui présage fort bien du prochain album du duo, en préparation, sur lequel on va se précipiter dès sa sortie.

par Diane Gastellu // Publié le 25 septembre 2016

[1Asprières est en réalité la commune dont dépend le hameau de Querbes.

[2Le cantou est la grande cheminée des maisons occitanes.