Chronique

Sylvain Rifflet

Mechanics

Sylvain Rifflet : ts, clar, boîte à musique ; Benjamin Flament : perc, métaux traités ; Philippe Gordiani : g ; Jocelyn Mienniel : fl, kalimba

Label / Distribution : Jazz Village

Il est toujours hasardeux d’envisager l’avenir, mais parfois, certains indices se prêtent au jeu de l’extrapolation. Même si l’histoire ne se répète pas. Une fois ces deux postulats admis, je peux me risquer à prétendre que la combinaison musique + musiciens présentée par Sylvain Rifflet pour Mechanics, pose les bases d’un nouveau courant, d’un style, d’une branche de l’immense arbre généalogique des musiques de jazz et improvisées.

On a affaire ici à un musicien qui expérimente, creuse un sillon personnel même s’il s’inspire de musiques existantes (Philip Glass, Terry Riley, Steve Reich, Moondog…) ; il s’entoure pour cela de compagnons - alter ego avec qui il partage recherches et trouvailles. C’est aussi au contact d’autres musiciens, d’autres styles que sa musique se forge, se construit par mimétisme ou par opposition. Ces éléments réunis ont déjà été, par le passé, à l’origine de nouveaux courants, de nouvelles légendes…

Oui, Sylvain Rifflet est de ceux-là, j’en prends le pari. Musicien d’orchestre, soliste, duettiste, il participe et a participé à différents projets qui, petit à petit, l’ont emmené dans cette direction. Ses compositions minimales - et non pas a minima - forment de petits mondes en suspension, sorte de pendules architecturaux. Les ingrédients et couleurs de cet univers étaient déjà présents sur Alphabet, précédent disque du même quartet. Mais sur Mechanics, le son est encore plus abouti. Un son de groupe extraordinaire, un assemblage sans impuretés.

La matière est ici très métallique. Les percussions de Benjamin Flament, en premier lieu, sont rigoureuses et ciselées. Membre de Radiation 10 ou du Magnetic Ensemble, il est aguerri aux rythmes cycliques, à la mécanique de groupe, à l’entrain. Philippe Gordiani, à la guitare, propose un environnement très mélodico-rythmique qui vient s’emboîter dans ces percussions pour former une unique pulsation tournoyante, équilibrée, centrale. Sur cette base aux sonorités parfois industrielles, le couple Rifflet / Joce Mienniel organise savamment un désordre, un univers de transe, qui tournent en spirale et donne une illusion d’infini.

On retrouve dans ces douze morceaux les effets, les composantes de ce style qui leur est cher. Le souffle très appuyé dans les attaques de flûte ou de sax (« 2 West 46th Street », une reprise de Moondog), l’usage de la sanza par Mienniel (qu’il pratique ailleurs également), les mélismes endiablés à deux voix, la respiration circulaire (le titre « Double », solo de sax en souffle continu), l’interaction monophonique formant une mélodie - modèle très africain, en particulier chez les Pygmées (« Mechanics »), l’étirement des silences et des thématiques, ou au contraire l’hyper-précision de tutti saccadés… Et toujours, l’écriture, l’arrangement, le cadre.
Tout tient. Rien ne bouge, rien ne tombe. Et pourtant tout semble en suspension.

Même si le disque fait entendre deux pièces en solo de Sylvain Rifflet (dont une reprise très chaleureuse du « Tout dit » de Camille), il faut insister sur ce couple flûte/saxophone. On ne fera pas l’économie d’aller écouter ce que Rifflet et Mienniel ont produit ces dernières années, ensemble et séparément. Que ce soit avec L’Encodeur, Art Sonic, Alphabet, Perpetual Motion ou Paris Short Stories, leur collaboration gémellaire et inspirée invente une musique cliquetante, métaphorique et hypnotisante.

Tel le mécanicien au manteau rouge qui orne la pochette du disque (signée François Schuiten), Sylvain Rifflet semble huiler la mécanique d’un monde sphérique et aérien, le sien.