Chronique

Joce Mienniel

Paris Short Stories

Aymeric Avice (tp), Sylvain Rifflet (cl, effects), Vincent Lafont (Fender Rhodes), Antonin Rayon (orgue Hammond), Eve Risser (piano préparé), Philippe Gordiani (g), Joce Mienniel (fl, effects)

Label / Distribution : Drugstore Malone

Si l’on cherchait un équivalent cinématographique au disque de Joce Mienniel, on pourrait penser, parmi d’autres, au film I Love Paris, succession de saynètes réalisées par de grands noms et jouées par des acteurs (re)connus : comme Paris Short Stories, en effet, il est composé d’une multitude de climats, d’ambiances, d’histoires, qui pourtant forment ensemble un portrait unique de la ville, quasi fantasmagorique. C’est un film qui montre que la vie, ce n’est rien d’autre que ce qu’on y met. Mais dans Paris Short Stories, c’est moins « Paris » qui paraît important que « Stories », et ces histoires, Joce Mienniel a choisi pour les raconter des artistes qui lui sont chers.

« Il n’y a pas eu de répétitions, l’enregistrement s’est déroulé en une journée et les musiciens n’avaient jamais joué ensemble. » Seconde parution du label de Joce Mienniel, Drugstore Malone, Paris Short Stories est constitué de 9 reprises + 1, « Box 25/4 Lid » de Soft Machine, interprétée par chacun des trois trios de l’album :
1. Aymeric Avice + Sylvain Rifflet + Joce Mienniel
2. Vincent Lafont + Antonin Rayon + Joce Mienniel
3. Eve Risser + Philippe Gordiani + Joce Mienniel.

Frank Zappa, Björk, Michel Portal, Jaco Pastorius, Joni Mitchell… Tous des artistes qui ont bercé l’imaginaire musical du flûtiste, arrangeur, compositeur, improvisateur et directeur de label ? « Oui, bien sûr, mais je les ai surtout choisis parce qu’il est plus facile pour des improvisateurs de détourner le propos de morceaux bien connus que de morceaux écrits par un compositeur présent pendant qu’ils jouent. On est moins enclin au respect, on a plus de facilité à tout casser. Je voulais qu’on puisse avoir le choix : paraphraser ou tout casser. Et les deux se sont produits. » De plus, l’orchestration des trios est, pour chaque pièce l’inverse de l’originale, « pour éviter de tomber dans les pièges ». Sur la base d’un relevé qu’ils avaient sous les yeux, les musiciens ont composé des relectures spontanées, qui se révèlent à l’écoute être autant le fruit du hasard que de la nécessité.

En effet, comment expliquer que, dans ces conditions, le disque soit si homogène ? Une question de post-production peut-être ? Non, Joce Mienniel n’a pas cherché à modifier les sons, mais au contraire à cultiver leur spécificité. Il s’agit de proposer un traitement sonore inattendu de morceaux déjà non conventionnels en eux-mêmes. « Max mon amour », de Michel Portal, est ainsi habité par les effets de clarinette, méconnaissable, de Sylvain Rifflet, qui planent comme un brouillard anglais. « Big Swifty » de Frank Zappa est plein de cliquetis fantomatiques et joyeux. Certaines plages sont électroniques, d’autres acoustiques, comme « Mozambic » de Michel Portal, où le piano d’Eve Risser et la guitare de Philippe Gordiani sont tout à fait reconnaissables.

D’où vient alors cette cohérence d’ensemble ? Du fait que Joce Mienniel a dès le départ voulu construire un objet discographique, qu’il est lui-même le dénominateur commun des trois trios, et qu’il a choisi, peut-être sans le vouloir, des gens qui, comme lui, ont le souci de rechercher l’émotion poétique. Contemplation, silence, espace laissé au surgissement… Chaque morceau est passé au filtre de l’onirisme et de la poésie, chaque morceau a basculé de l’autre côté du miroir, et ce aussi facilement que si toutes leurs influences - musique contemporaine, chanson ou jazz - avaient été mélangées comme on mélange les ingrédients d’une soupe. Joce Mienniel raconte sa propre histoire à travers l’Histoire, et il est remarquable qu’elle soit inséparable, au moins sur ce disque, de ceux qui l’accompagnent.

« Ma première émotion musicale ? La musique d’Ascenseur pour l’échafaud de Miles Davis. » C’était donc ça ! Joce Mienniel se balade en pleine nuit dans Paris silencieuse : comme chez Louis Malle, le son a été coupé. Ne reste qu’une musique chorale, à la lumière floue et lointaine, à la respiration irrégulière, à la présence volontairement fragmentaire, et, par là, très forte.


par Raphaëlle Tchamitchian // Publié le 24 septembre 2012
P.-S. :
  • Interview réalisée le 4 septembre 2012, à lire en intégralité dans le portrait de Joce Mienniel.